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Je suis pour Hélène ce que , dans l' ordre naturel , une mère doit être pour sa progéniture . Quand elle n' aura plus besoin de moi , tout sera dit : la cause éteinte , les effets cesseront . Si la femme a l' adorable privilège d' étendre sa maternité sur toute la vie de son enfant , n' est - ce pas aux rayonnements de sa conception morale qu' il faut attribuer cette divine persistance du sentiment ? Quand l' enfant n' a pas eu l' âme de sa mère pour première enveloppe , la maternité cesse donc alors dans son coeur , comme elle cesse chez les animaux .
Cela est vrai , je le sens ; à mesure que ma pauvre petite grandit , mon coeur se resserre .
Les sacrifices que je lui ai faits m' ont déjà détachée d' elle , tandis que pour un autre enfant mon coeur aurait été , je le sens , inépuisable ; pour cet autre , rien n' aurait été sacrifice , tout eût été plaisir .
Ici , monsieur , la raison , la religion , tout en moi se trouve sans force contre mes sentiments .
A - t - elle tort de vouloir mourir , la femme qui n' est ni mère ni épouse , et qui , pour son malheur , a entrevu l' amour dans ses beautés infinies , la maternité dans ses joies illimitées ? Que peut - elle devenir ? Je vous dirai , moi , ce qu' elle éprouve ! Cent fois durant le jour , cent fois durant la nuit , un frisson ébranle ma tête , mon coeur et mon corps quand quelque souvenir trop faiblement combattu m' apporte les images d' un bonheur que je suppose plus grand qu' il n' est .
Ces cruelles fantaisies font pâlir mes sentiments , et je me dis : " Qu' aurait donc été ma vie si ... ? " " Elle se cacha le visage dans ses mains et fondit en larmes .
" Voilà le fond de mon coeur ! reprit - elle .
Un enfant de lui m' aurait fait accepter les plus horribles malheurs ! Le Dieu qui mourut chargé de toutes les fautes de la terre me pardonnera cette pensée mortelle pour moi ; mais , je le sais , le monde est implacable ; pour lui mes paroles sont des blasphèmes , j' insulte à toutes ses lois .
Ha ! je voudrais faire la guerre à ce monde pour en renouveler les lois et les usages , pour les briser ! Ne m' a - t - il pas blessée dans toutes mes idées , dans toutes mes fibres , dans tous mes sentiments , dans tous mes désirs , dans toutes mes espérances , dans l' avenir , dans le présent , dans le passé ? Pour moi le jour est plein de ténèbres , la pensée est un glaive , mon coeur est une plaie , mon enfant est une négation .
Oui , quand Hélène me parle , je lui voudrais une autre voix ; quand elle me regarde , je lui voudrais d' autres yeux .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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