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La marquise , laissée à elle - même , put donc rester parfaitement silencieuse au milieu du silence qu' elle avait établi autour d' elle , et n' eut aucune occasion de quitter la chambre tendue de tapisseries où mourut sa grand - mère , et où elle était venue pour y mourir doucement , sans témoins , sans importunités , sans subir les fausses démonstrations des égoïsmes fardés d' affection qui , dans les villes , donnent aux mourants une double agonie .
Cette femme avait vingt - six ans . à cet âge , une âme encore pleine de poétiques illusions aime à savourer la mort , quand elle lui semble bienfaisante .
Mais la mort a de la coquetterie pour les jeunes gens ; pour eux , elle s' avance et se retire , se montre et se cache , sa lenteur les désenchante d' elle , et l' incertitude que leur cause son lendemain finit par les rejeter dans le monde où ils rencontreront la douleur , qui , plus impitoyable que ne l' est la mort , les frappera sans se laisser attendre .
Or , cette femme qui se refusait à vivre allait éprouver l' amertume de ces retardements au fond de sa solitude , et y faire , dans une agonie morale que la mort ne terminerait pas , un terrible apprentissage d' égoïsme qui devait lui déflorer le coeur et le façonner au monde .
Ce cruel et triste enseignement est toujours le fruit de nos premières douleurs . La marquise souffrait véritablement pour la première et pour la seule fois de sa vie peut - être . En effet , ne serait - ce pas une erreur de croire que les sentiments se reproduisent ? Une fois éclos , n' existent - ils pas toujours au fond du coeur ? Ils s' y apaisent et s' y réveillent au gré des accidents de la vie ; mais ils y restent , et leur séjour modifie nécessairement l' âme .
Ainsi , tout sentiment n' aurait qu' un grand jour , le jour plus ou moins long de sa première tempête .
Ainsi , la douleur , le plus constant de nos sentiments , ne serait vive qu' à sa première irruption ; et ses autres atteintes iraient en s' affaiblissant , soit par notre accoutumance à ses crises , soit par une loi de notre nature qui , pour se maintenir vivante , oppose à cette force destructive une force égale mais inerte , prise dans les calculs de l' égoïsme .
Mais , entre toutes les souffrances , à laquelle appartiendra ce nom de douleur ? La perte des parents est un chagrin auquel la nature a préparé les hommes ; le mal physique est passager , n' embrasse pas l' âme ; et s' il persiste , ce n' est plus un mal , c' est la mort .
Qu' une jeune femme perde un nouveau - né , l' amour conjugal lui a bientôt donné un successeur .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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