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" Mme de Sérizy donne un concert lundi prochain , et se meurt d' envie de t' avoir . Il suffit que depuis longtemps tu n' aies paru dans le monde pour qu' elle désire te voir chez elle . C' est une bonne femme qui t' aime beaucoup . Tu me feras plaisir d' y venir . J' ai presque répondu de toi ...
J' irai " répondit Julie .
Le son de la voix , l' accent et le regard de la marquise eurent quelque chose de si pénétrant , de si particulier que , malgré son insouciance , Victor regarda sa femme avec étonnement . Ce fut tout . Julie avait deviné que Mme de Sérizy était la femme qui lui avait enlevé le coeur de son mari .
Elle s' engourdit dans une rêverie de désespoir , et parut très occupée à regarder le feu . Victor faisait tourner l' écran dans ses doigts avec l' air ennuyé d' un homme qui , après avoir été heureux ailleurs , apporte chez lui la fatigue du bonheur .
Quand il eut bâillé plusieurs fois , il prit un flambeau d' une main , de l' autre alla chercher languissamment le cou de sa femme et voulut l' embrasser ; mais Julie se baissa , lui présenta son front , et y reçut le baiser du soir , ce baiser machinal , sans amour , espèce de grimace qui lui parut alors odieuse .
Quand Victor eut fermé la porte , la marquise tomba sur un siège ; ses jambes chancelèrent , elle fondit en larmes .
Il faut avoir subi le supplice de quelque scène analogue pour comprendre tout ce que celle - ci cache de douleurs pour deviner les longs et terribles drames auxquels elle donne lieu .
Ces simples et niaises paroles , ces silences entre les deux époux , les gestes , les regards , la manière dont le marquis s' était assis devant le feu , l' attitude qu' il eut en cherchant à baiser le cou de sa femme , tout avait servi à faire , de cette heure , un tragique dénouement à la vie solitaire et douloureuse menée par Julie .
Dans sa folie , elle se mit à genoux devant son divan , s' y plongea le visage pour ne rien voir , et pria le ciel , en donnant aux paroles habituelles de son oraison un accent intime , une signification nouvelle qui eussent déchiré le coeur de son mari , s' il l' eût entendue .
Elle demeura pendant huit jours préoccupée de son avenir , en proie à son malheur , qu' elle étudiait en cherchant les moyens de ne pas mentir à son coeur , de regagner son empire sur le marquis , et de vivre assez longtemps pour veiller au bonheur de sa fille .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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