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Souvent ses amis surprenaient Julie livrée à de longues méditations ; les moins clairvoyants lui en demandaient le secret en plaisantant , comme si une jeune femme pouvait ne songer qu' à des frivolités , comme s' il n' existait pas presque toujours un sens profond dans les pensées d' une mère de famille . D' ailleurs , le malheur aussi bien que le bonheur vrai nous mène à la rêverie . Parfois , en jouant avec son Hélène , Julie la regardait d' un oeil sombre , et cessait de répondre à ces interrogations enfantines qui font tant de plaisir aux mères , pour demander compte de sa destinée au présent et à l' avenir .
Ses yeux se mouillaient alors de larmes , quand soudain quelque souvenir lui rappelait la scène de la revue aux Tuileries .
Les prévoyantes paroles de son père retentissaient derechef à son oreille , et sa conscience lui reprochait d' en avoir méconnu la sagesse .
De cette désobéissance folle venaient tous ses malheurs ; et souvent elle ne savait , entre tous , lequel était le plus difficile à porter . Non seulement les doux trésors de son âme restaient ignorés , mais elle ne pouvait jamais parvenir à se faire comprendre de son mari , même dans les choses les plus ordinaires de la vie .
Au moment où la faculté d' aimer se développait en elle plus forte et plus active , l' amour permis , l' amour conjugal s' évanouissait au milieu de graves souffrances physiques et morales .
Puis elle avait pour son mari cette compassion voisine du mépris qui flétrit à la longue tous les sentiments .
Enfin , si ses conversations avec quelques amis , si les exemples , ou si certaines aventures du grand monde ne lui eussent pas appris que l' amour apportait d' immenses bonheurs , ses blessures lui auraient fait deviner les plaisirs profonds et purs qui doivent unir des âmes fraternelles .
Dans le tableau que sa mémoire lui traçait du passé , la candide figure d' Arthur s' y dessinait chaque jour plus pure et plus belle , mais rapidement ; car elle n' osait s' arrêter à ce souvenir .
Le silencieux et timide amour du jeune Anglais était le seul événement qui , depuis le mariage , eût laissé quelques doux vestiges dans ce coeur sombre et solitaire .
Peut - être toutes les espérances trompées , tous les désirs avortés qui , graduellement , attristaient l' esprit de Julie , se reportaient - ils , par un jeu naturel de l' imagination , sur cet homme , dont les manières , les sentiments et le caractère paraissaient offrir tant de sympathies avec les siens .
Mais cette pensée avait toujours l' apparence d' un caprice , d' un songe .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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