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La marquise , chargée de tous les malheurs de cette triste existence , devait sourire encore à son maître imbécile , parer de fleurs une maison de deuil , et afficher le bonheur sur un visage pâli par de secrets supplices . Cette responsabilité d' honneur , cette abnégation magnifique donnèrent insensiblement à la jeune marquise une dignité de femme , une conscience de vertu qui lui servirent de sauvegarde contre les dangers du monde .
Puis , pour sonder ce coeur à fond , peut - être le malheur intime et caché par lequel son premier , son naïf amour de jeune fille était couronné lui fit - il prendre en horreur les passions ; peut - être n' en conçut - elle ni l' entraînement , ni les joies illicites mais délirantes qui font oublier à certaines femmes les lois de sagesse , les principes de vertu sur lesquels la société repose .
Renonçant , comme à un songe , aux douceurs , à la tendre harmonie que la vieille expérience de Mme de Listomère - Landon lui avait promise , elle attendit avec résignation la fin de ses peines en espérant mourir jeune .
Depuis son retour de Touraine , sa santé s' était chaque jour affaiblie , et la vie semblait lui être mesurée par la souffrance ; souffrance élégante d' ailleurs , maladie presque voluptueuse en apparence , et qui pouvait passer aux yeux des gens superficiels pour une fantaisie de petite maîtresse .
Les médecins avaient condamné la marquise à rester couchée sur un divan , où elle s' étiolait au milieu des fleurs qui l' entouraient , en se fanant comme elle .
Sa faiblesse lui interdisait la marche et le grand air , elle ne sortait qu' en voiture fermée .
Sans cesse environnée de toutes les merveilles de notre luxe et de notre industrie modernes , elle ressemblait moins à une malade qu' à une reine indolente .
Quelques amis amoureux peut - être de son malheur et de sa faiblesse , sûrs de toujours la trouver chez elle , et spéculant sans doute aussi sur sa bonne santé future , venaient lui apporter les nouvelles et l' instruire de ces mille petits événements qui rendent à Paris l' existence si variée .
Sa mélancolie , quoique grave et profonde , était donc la mélancolie de l' opulence .
La marquise d' Aiglemont ressemblait à une belle fleur dont la racine est rongée par un insecte noir .
Elle allait parfois dans le monde , non par goût , mais pour obéir aux exigences de la position à laquelle aspirait son mari .
FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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