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L' horloge du château sonna une demi - heure . En ce moment les bourdonnements de la foule cessèrent , et le silence devint si profond que l' on eût entendu la parole d' un enfant . Le vieillard et sa fille , qui semblaient ne vivre que par les yeux , distinguèrent alors un bruit d' éperons et un cliquetis d' épées qui retentirent sous le sonore péristyle du château .
Un petit homme assez gras , vêtu d' un uniforme vert , d' une culotte blanche , et chaussé de bottes à l' écuyère , parut tout à coup en gardant sur sa tête un chapeau à trois cornes aussi prestigieux que l' homme lui - même ; le large ruban rouge de la Légion d' honneur flottait sur sa poitrine , une petite épée était à son côté .
L' homme fut aperçu par tous les yeux , et à la fois , de tous les points dans la place .
Aussitôt , les tambours battirent aux champs , les deux orchestres débutèrent par une phrase dont l' expression guerrière fut répétée sur tous les instruments , depuis la plus douce des flûtes jusqu' à la grosse caisse .
à ce belliqueux appel , les âmes tressaillirent , les drapeaux saluèrent , les soldats présentèrent les armes par un mouvement unanime et régulier qui agita les fusils depuis le premier rang jusqu' au dernier dans le Carrousel .
Des mots de commandement s' élancèrent de rang en rang comme des échos . Des cris de : Vive l' Empereur ! furent poussés par la multitude enthousiasmée . Enfin tout frissonna , tout remua , tout s' ébranla .
Napoléon était monté à cheval . Ce mouvement avait imprimé la vie à ces masses silencieuses , avait donné une voix aux instruments , un élan aux aigles et aux drapeaux , une émotion à toutes les figures .
Les murs des hautes galeries de ce vieux palais semblaient crier aussi : Vive l' Empereur ! Ce ne fut pas quelque chose d' humain , ce fut une magie , un simulacre de la puissance divine , ou mieux une fugitive image de ce règne si fugitif .
L' homme entouré de tant d' amour , d' enthousiasme , de dévouement , de voeux , pour qui le soleil avait chassé les nuages du ciel , resta sur son cheval , à trois pas en avant du petit escadron doré qui le suivait , ayant le grand maréchal à sa gauche , le maréchal de service à sa droite .
Au sein de tant d' émotions excitées par lui , aucun trait de son visage ne parut s' émouvoir .

FEMME DE 30 ANS (II, privé)
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