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Le carreau , plein de boue séchée , de papiers déchirés , de cendres de pipe , de débris inexplicables , ressemblait au plancher des pensionnats quand il n' a pas été balayé depuis huit jours , et d' où les domestiques chassent des monceaux de choses qui sont entre le fumier et les guenilles . Un oeil plus exercé que celui de la comtesse y aurait trouvé des renseignements sur la vie de Schmuke , dans quelques épluchures de marrons , des pelures de pommes , des coquilles d' oeufs rouges , dans des plats cassés par inadvertance et crottés de sauer - craut .
Ce détritus allemand formait un tapis de poudreux immondices qui craquait sous les pieds , et se ralliait à un amas de cendres qui descendait majestueusement d' une cheminée en pierre peinte où trônait une bûche en charbon de terre devant laquelle deux tisons avaient l' air de se consumer .
Sur la cheminée un trumeau et sa glace , où les figures dansaient la sarabande ; d' un côté la glorieuse pipe accrochée , de l' autre un pot chinois où le professeur mettait son tabac .
Deux fauteuils achetés de hasard , comme une couchette maigre et plate , comme la commode vermoulue et sans marbre , comme la table estropiée où se voyaient les restes d' un frugal déjeuner , composaient ce mobilier aussi simple que celui d' un wigwam de Mohicans .
Un miroir à barbe suspendu à l' espagnolette de la fenêtre sans rideaux et surmonté d' une loque zébrée par les nettoyages du rasoir indiquait les seuls sacrifices que Schmuke fit aux Grâces et au Monde .
Le chat , être faible et protégé , était le mieux partagé , il jouissait d' un vieux coussin de bergère auprès duquel se voyaient une tasse et un plat de porcelaine blanche .
Mais ce qu' aucun style ne peut décrire c' est l' état où Schmuke , le chat et la pipe , trinité vivante , avaient mis ces meubles .
La pipe avait brûlé la table çà et là .
Le chat et la tête de Schmuke avaient graissé le velours d' Utrecht vert des deux fauteuils , de manière à lui ôter sa rudesse .
Sans la splendide queue de ce chat , qui faisait en partie le ménage , jamais les places libres sur la commode ou sur le piano n' eussent été nettoyées . Dans un coin se tenaient les souliers , qui voudraient un dénombrement épique .
Les dessus de la commode et du piano étaient encombrés de livres de musique , à dos rongés , éventrés , à coins blanchis , émoussés , où le carton montrait ses mille feuilles .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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