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Le garçon alla chercher à l' imprimerie un châssis en fer avec lequel il put enfoncer la porte . Raoul s' asphyxiait comme une simple couturière , au moyen d' un réchaud de charbon . Il venait d' achever une lettre à Blondet pour le prier de mettre son suicide sur le compte d' une apoplexie foudroyante . La comtesse arrivait à temps : elle fit transporter Raoul dans le fiacre , et ne sachant où lui donner des soins , elle entra dans un hôtel , y prit une chambre , et envoya le garçon de bureau chercher un médecin .
Raoul fut en quelques heures hors de danger ; mais la comtesse ne quitta pas son chevet sans avoir obtenu sa confession générale .
Après que l' ambitieux terrassé lui eut versé dans le coeur ces épouvantables élégies de sa douleur , elle revint chez elle en proie à tous les tourments , à toutes les idées qui , la veille , assiégeaient le front de Nathan .
" J' arrangerai tout " , lui avait - elle dit , pour le faire vivre .
" Eh bien , qu' a donc ta soeur ? demanda Félix à sa femme en la voyant rentrer . Je te trouve bien changée .
C' est une horrible histoire sur laquelle je dois garder le plus profond secret " , répondit - elle en retrouvant sa force pour affecter le calme .
Afin d' être seule et de penser à son aise , elle était allée le soir aux Italiens , puis elle était venue décharger son coeur dans celui de Mme du Tillet en lui racontant l' horrible scène de la matinée , lui demandant des conseils et des secours .
Ni l' une ni l' autre ne pouvaient savoir alors que du Tillet avait allumé le feu du vulgaire réchaud dont la vue avait épouvanté la comtesse Félix de Vandenesse .
" Il n' a que moi dans le monde , avait dit Marie à sa soeur , et je ne lui manquerai point . "
Ce mot contient le secret de toutes les femmes : elles sont héroïques alors qu' elles ont la certitude d' être tout pour un homme grand et irréprochable .
Du Tillet avait entendu parler de la passion plus ou ou moins probable de sa belle - soeur pour Nathan , mais il était de ceux qui la niaient ou la jugeaient incompatible avec la liaison de Raoul et de Florine .
L' actrice devait chasser la comtesse , et réciproquement . Mais quand , en rentrant chez lui , pendant cette soirée , il y vit sa belle - soeur , dont déjà le visage lui avait annoncé d' amples perturbations aux Italiens , il devina que Raoul avait confié ses embarras à la comtesse : la comtesse l' aimait donc , elle était venue demander à Marie - Eugénie les sommes dues au vieux Gigonnet .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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