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Sans goût pour les tranquilles félicités du ménage , elle recevait les agitations de cette vie à tourbillons , communiquées par une plume habile et amoureuse ; elle baisait ces lettres écrites au milieu des batailles livrées par la presse , prélevées sur des heures studieuses ; elle sentait tout leur prix ; elle était sûre d' être aimée uniquement , de n' avoir que la gloire et l' ambition pour rivales ; elle trouvait au fond de sa solitude à employer toutes ses forces , elle était heureuse d' avoir bien choisi : Nathan était un ange . Heureusement sa retraite à sa terre et les barrières qui existaient entre elle et Raoul avaient éteint les médisances du monde .
Durant les derniers jours de l' automne Marie et Raoul reprirent donc leurs promenades au bols de Boulogne , ils ne pouvaient se voir que là jusqu' au moment où les salons se rouvriraient .
Raoul put savourer un peu plus à l' aise les pures , les exquises jouissances de sa vie idéale et la cacher à Florine : il travaillait un peu moins , les choses avaient pris leur train au journal , chaque rédacteur connaissait sa besogne .
Il fit involontairement des comparaisons , toutes à l' avantage de l' actrice , sans que néanmoins la comtesse y perdît .
Brisé de nouveau par les manoeuvres auxquelles le condamnait sa passion de coeur et de tête pour une femme du grand monde , Raoul trouva des forces surhumaines pour être à la fois sur trois théâtres : le Monde , le Journal et les Coulisses .
Au moment où Florine , qui lui savait gré de tout , qui partageait presque ses travaux et ses inquiétudes , se montrait et disparaissait à propos , lui versait à flots un bonheur réel , sans phrases , sans aucun accompagnement de remords , la comtesse , aux yeux insatiables , au corsage chaste , oubliait ces travaux gigantesques et les peines prises souvent pour la voir un instant .
Au lieu de dominer , Florine se laissait prendre , quitter , reprendre , avec la complaisance d' un chat qui retombe sur ses pattes et secoue ses oreilles .
Cette facilité de moeurs concorde admirablement aux allures des hommes de pensée ; et tout artiste en eût profité , comme le fit Nathan , sans abandonner la poursuite de ce bel amour idéal , de cette splendide passion qui charmait ses instincts de poète , ses grandeurs secrètes , ses vanités sociales .
Convaincu de la catastrophe que suivrait une indiscrétion , il se disait : " La comtesse ni Florine ne sauront rien ! " Elles étaient si loin l' une de l' autre ! à l' entrée de l' hiver , Raoul reparut dans le monde à son apogée : il était presque un personnage .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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