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Elle était au coin de la cheminée , dans le petit salon , étendue dans un fauteuil . Au lieu de regarder Nathan quand on l' annonça , elle le contempla dans la glace , sûre que la maîtresse de la maison se tournerait vers lui .
Traqué comme il l' est dans le monde , l' amour est obligé d' avoir recours à ces petites ruses : il donne la vie aux miroirs , aux manchons , aux éventails , à une foule de choses dont l' utilité n' est pas tout d' abord démontrée et dont beaucoup de femmes usent sans s' en servir .
" Monsieur le ministre , dit Mme d' Espard en s' adressant à Nathan et lui présentant de Marsay par un regard , soutenait , au moment où vous entriez , que les royalistes et les républicains s' entendent , vous devez en savoir quelque chose , vous ?
Quand cela serait , dit Raoul , où est le mal ? Nous haïssons le même objet , nous sommes d' accord dans notre haine , nous différons dans notre amour . Voilà tout .
Cette alliance est au moins bizarre , dit de Marsay en enveloppant d' un coup d' oeil la comtesse Félix et Raoul .
Elle ne durera pas , dit Rastignac qui pensait un peu trop à la politique comme tous les nouveaux venus .
Qu' en dites - vous , ma chère amie ? demanda Mme d' Espard à la comtesse .
Je n' entends rien à la politique .
Vous vous y mettrez , madame , dit de Marsay , et vous serez alors doublement notre ennemie . "
Nathan et Marie ne comprirent le mot que quand de Marsay fut parti . Rastignac le suivit , et Mme d' Espard les accompagna jusqu' à la porte de son premier salon . Les deux amants ne pensèrent plus aux épigrammes du ministre , ils se voyaient riches de quelques minutes .
Marie tendit sa main vivement dégantée à Raoul , qui la prit et la baisa comme s' il n' avait eu que dix - huit ans . Les yeux de la comtesse exprimaient une noble tendresse si entière que Raoul eut aux yeux cette larme que trouvent toujours à leur service les hommes à tempérament nerveux .
" Où vous voir , où pouvoir vous parler ? dit - il . Je mourrais s' il fallait toujours déguiser ma voix , mon regard , mon coeur , mon amour . "

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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