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La chambre en violet était un rêve de danseuse à son début : des rideaux en velours doublés de soie blanche , drapés sur un voile de tulle ; un plafond en cachemire blanc relevé de satin violet ; au pied du lit un tapis d' hermine ; dans le lit , dont les rideaux ressemblaient à un lys renversé , se trouvait une lanterne pour y lire les journaux avant qu' ils ne parussent . Un salon jaune rehaussé par des ornements couleur de bronze florentin était en harmonie avec toutes ces magnificences ; mais une description exacte ferait ressembler ces pages à l' affiche d' une vente par autorité de justice .
Pour trouver des comparaisons à toutes ces belles choses , il aurait fallu aller à deux pas de là , chez les Rothschild .
Sophie Grignoult , qui s' était surnommée Florine par un baptême assez commun au théâtre , avait débuté sur les scènes inférieures , malgré sa beauté . Son succès et sa fortune , elle les devait à Raoul Nathan .
L' association de ces deux destinées , assez commune dans le monde dramatique et littéraire , ne faisait aucun tort à Raoul , qui gardait les convenances en homme de haute portée . La fortune de Florine n' avait néanmoins rien de stable .
Ses rentes aléatoires étaient fournies par ses engagements , par ses congés , et payaient à peine sa toilette et son ménage . Nathan lui donnait quelques contributions levées sur les entreprises nouvelles de l' industrie ; mais , quoique toujours galant et protecteur avec elle , cette protection n' avait rien de régulier ni de solide .
Cette incertitude , cette vie en l' air n' effrayaient point Florine .
Florine croyait en son talent , elle croyait en sa beauté . Sa foi robuste avait quelque chose de comique pour ceux qui l' entendaient hypothéquer son avenir là - dessus quand on lui faisait des remontrances .
" J' aurai des rentes lorsqu' il me plaira d' en avoir , disait - elle . J' ai déjà cinquante francs sur le grand - livre . " Personne ne comprenait comment elle avait pu rester sept ans oubliée , belle comme elle était ; mais , à la vérité , Florine fut enrôlée comme comparse à treize ans , et débutait deux ans après sur un obscur théâtre des boulevards .
à quinze ans , ni la beauté ni le talent n' existent : une femme est tout promesse .
Elle avait alors vingt - huit ans , le moment où les beautés des femmes françaises sont dans tout leur éclat . Les peintres voyaient avant tout dans Florine des épaules d' un blanc lustré , teintes de tons olivâtres aux environs de la nuque , mais fermes et polies ; la lumière glissait dessus comme sur une étoffe moirée .
Quand elle tournait la tête , il se formait dans son cou des plis magnifiques , l' admiration des sculpteurs .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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