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de Chateaubriand par Girodet a rendue célèbre ; mais il la prend moins pour lui ressembler , il ne veut ressembler à personne , que pour déflorer les plis réguliers de sa chemise . Sa cravate est en un moment roulée sous les convulsions de ses mouvements de tête , qu' il a remarquablement brusques et vifs , comme ceux des chevaux de race qui s' impatientent dans leurs harnais et relèvent constamment la tête pour se débarrasser de leur mors ou de leurs gourmettes .
Sa barbe longue et pointue n' est ni peignée , ni parfumée , ni brossée , ni lissée comme le sont celles des élégants qui portent la barbe en éventail ou en pointe ; il la laisse comme elle est .
Ses cheveux , mêlés entre le collet de son habit et sa cravate , luxuriants sur les épaules , graissent les places qu' ils caressent .
Ses mains sèches et filandreuses ignorent les soins de la brosse à ongles et le luxe du citron . Plusieurs feuilletonistes prétendent que les eaux lustrales ne rafraîchissent pas souvent leur peau calcinée .
Enfin le terrible Raoul est grotesque . Ses mouvements sont saccadés comme s' ils étaient produits par une mécanique imparfaite . Sa démarche froisse toute idée d' ordre par des zigzags enthousiastes , par des suspensions inattendues qui lui font heurter les bourgeois pacifiques en promenade sur les boulevards de Paris .
Sa conversation , pleine d' humeur caustique , d' épigrammes âpres , imite l' allure de son corps ; elle quitte subitement le ton de la vengeance et devient suave , poétique consolante , douce , hors de propos ; elle a des silences inexplicables , des soubresauts d' esprit qui fatiguent parfois .
Il apporte dans le monde une gaucherie hardie , un dédain des conventions un air de critique pour tout ce qu' on y respecte , qui le met mal avec les petits esprits comme avec ceux qui s' efforcent de conserver les doctrines de l' ancienne politesse ; mais c' est quelque chose d' original comme les créations chinoises et que les femmes ne haïssent pas .
D' ailleurs , pour elles , il se montre souvent d' une amabilité recherchée , il semble se complaire à faire oublier ses formes bizarres , à remporter sur les antipathies une victoire qui flatte sa vanité , son amour - propre ou son orgueil .
" Pourquoi êtes - vous comme cela ? lui dit un jour la marquise de Vandenesse .
Les perles ne sont - elles pas dans des écailles ? " répondit - il fastueusement .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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