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Ah ! si tu possédais ces vivantes richesses du coeur et que tu fusses menacée de les perdre ... "
Mme du Tillet effrayée s' était voilé la figure avec ses mains en entendant cette horrible antienne .
" Je n' ai pas eu la pensée de te faire le moindre reproche , ma bien - aimée , dit - elle enfin en voyant le visage de sa soeur baigné de larmes chaudes . Tu viens de jeter dans mon âme , en un moment , plus de brandons que n' en ont éteint mes larmes .
Oui , la vie que je mène légitimerait dans mon coeur un amour comme celui que tu viens de me peindre . Laisse - moi croire que si nous nous étions vues plus souvent nous ne serions pas où nous en sommes .
Si tu avais su mes souffrances , tu aurais apprécié ton bonheur , tu m' aurais peut - être enhardie à la résistance et je serais heureuse . Ton malheur est un accident auquel un hasard obviera , tandis que mon malheur est de tous les moments .
Pour mon mari , je suis le porte - manteau de son luxe , l' enseigne de ses ambitions , une de ses vaniteuses satisfactions . Il n' a pour moi ni affection vraie ni confiance .
Ferdinand est sec et poli comme ce marbre , dit - elle en frappant le manteau de la cheminée . Il se défie de moi . Tout ce que je demanderais pour moi - même est refusé d' avance ; mais quant à ce qui le flatte et annonce sa fortune , je n' ai pas même à désirer : il décore mes appartements , il dépense des sommes exorbitantes pour ma table .
Mes gens , mes loges au théâtre , tout ce qui est extérieur est du dernier goût .
Sa vanité n' épargne rien , il mettra des dentelles aux langes de ses enfants , mais il n' entendra pas leurs cris , ne devinera pas leurs besoins . Me comprends - tu ? Je suis couverte de diamants quand je vais à la cour ; à la ville , je porte les bagatelles les plus riches ; mais je ne dispose pas d' un liard .
Mme du Tillet , qui peut - être excite des jalousies , qui paraît nager dans l' or , n' a pas cent francs à elle .
Si le père ne se soucie pas de ses enfants , il se soucie bien moins de leur mère . Ah ! il m' a fait bien rudement sentir qu' il m' a payée , et que ma fortune personnelle , dont je ne dispose point , lui a été arrachée .
Si je n' avais qu' à me rendre maîtresse de lui , peut - être le séduirais - je ; mais je subis une influence étrangère , celle d' une femme de cinquante ans passés qui a des prétentions et qui le domine , la veuve d' un notaire .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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