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Quoique sans famille , quoique parvenu , Dieu sait comment ! du Tillet avait épousé en 1831 la dernière fille du comte de Granville , l' un des plus célèbres noms de la magistrature française , et devenu pair de France après la révolution de Juillet . Ce mariage d' ambition fut acheté par la quittance au contrat d' une dot non touchée , aussi considérable que celle de la soeur aînée mariée au comte Félix de Vandenesse . De leur côté , les Granville avaient jadis obtenu cette alliance avec les Vandenesse par l' énormité de la dot .
Ainsi , la Banque avait réparé la brèche faite à la Magistrature par la Noblesse . Si le comte de Vandenesse s' était pu voir , à trois ans de distance , beau - frère d' un sieur Ferdinand , dit du Tillet , il n' eût peut - être pas épousé sa femme ; mais quel homme aurait , vers la fin de 1828 , prévu les étranges bouleversements que 1830 devait apporter dans l' état politique , dans les fortunes et dans la morale de la France ? Il eût passé pour fou , celui qui aurait dit au comte Félix de Vandenesse que , dans ce chassé - croisé , il perdrait sa couronne de pair et qu' elle se retrouverait sur la tête de son beau - père .
Ramassée sur une de ces chaises basses appelées chauffeuses , dans la pose d' une femme attentive , Mme du Tillet pressait sur sa poitrine avec une tendresse maternelle et baisait parfois la main de sa soeur , Mme Félix de Vandenesse .
Dans le monde , on joignait au nom de famille le nom de baptême , pour distinguer la comtesse de sa belle - soeur , la marquise , femme de l' ancien ambassadeur Charles de Vandenesse , qui avait épousé la riche veuve du comte de Kergarouët , une demoiselle de Fontaine .
à demi renversée sur une causeuse , un mouchoir dans l' autre main , la respiration embarrassée par des sanglots réprimés , les yeux mouillés , la comtesse venait de faire de ces confidences qui ne se font que de soeur à soeur , quand deux soeurs s' aiment ; et ces deux soeurs s' aimaient tendrement .
Nous vivons dans un temps où deux soeurs si bizarrement mariées peuvent si bien ne pas s' aimer qu' un historien est tenu de rapporter les causes de cette tendresse , conservée sans accrocs ni taches au milieu des dédains de leurs maris l' un pour l' autre et des désunions sociales .
Un rapide aperçu de leur enfance expliquera leur situation respective .

UNE FILLE D EVE (II, privé)
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