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Les ménages parisiens sont dévorés par le besoin de se mettre en harmonie avec le luxe qui les environne de toutes parts , aussi en est - il peu qui aient la sagesse de conformer leur situation extérieure à leur budget intérieur . Mais ce vice tient peut - être à un patriotisme tout français et qui a pour but de conserver à la France sa suprématie en fait de costume .
La France règne par le vêtement sur toute l' Europe , chacun y sent la nécessité de garder un sceptre commercial qui fait de la Mode en France ce qu' est la Marine en Angleterre .
Cette patriotique fureur qui porte à tout sacrifier au paroistre , comme disait d' Aubigné sous Henri IV , est la cause de travaux secrets et immenses qui prennent toute la matinée des femmes parisiennes , quand elles veulent , ainsi que le voulait Mme Rabourdin , tenir avec douze mille livres de rente le train que beaucoup de riches ne se donnent pas avec trente mille .
Ainsi , les vendredis , jours de dîner , Mme Rabourdin aidait la femme de chambre à faire les appartements ; car la cuisinière allait de bonne heure à la Halle , et le domestique nettoyait l' argenterie , façonnait les serviettes , brossait les cristaux .
Le malavisé qui , par une distraction de la portière , serait monté vers onze heures ou midi chez Mme Rabourdin , l' eût trouvée , au milieu du désordre le moins pittoresque , en robe de chambre , les pieds dans de vieilles pantoufles mal coiffée , arrangeant elle - même ses lampes , disposant elle - même ses jardinières ou se cuisinant a la hâte un déjeuner peu poétique .
Le visiteur à qui les mystères de la vie parisienne auraient été inconnus eût certes appris à ne pas mettre le pied dans les coulisses du théâtre ; bientôt signalé comme un homme capable des plus grandes noirceurs , la femme surprise dans ses mystères du matin aurait parlé de sa bêtise et de son indiscrétion de manière à le ruiner .
La Parisienne , si indulgente pour les curiosités qui lui profitent , est implacable pour celles qui lui font perdre ses prestiges .
Aussi une pareille invasion domiciliaire n' est - elle pas , comme dit la police correctionnelle , une attaque à la pudeur , mais un vol avec effraction , le vol de ce qu' il y a de plus précieux , le crédit ! Une femme se laisse volontiers surprendre peu vêtue , les cheveux tombants ; quand tous ses cheveux sont à elle , elle y gagne ; mais elle ne veut pas se laisser voir faisant elle - même son appartement , elle y perd son paroistre .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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