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Le dernier de ces personnages qui mérite un coup de crayon est le petit La Billardière . Ayant , pour son malheur , perdu sa mère , protégé par le ministre , exempt des rebuffades de la place Baudoyer , reçu dans tous les salons ministériels , il était haï de tout le monde à cause de son impertinence et de sa fatuité . Les chefs se montraient polis avec lui , mais les employés l' avaient mis en dehors de leur camaraderie par une politesse grotesque inventée pour lui .
Bellâtre de vingt - deux ans , long et fluet , ayant les manières d' un Anglais , insultant les bureaux par sa tenue de dandy , frisé , parfumé , colleté , venant en gants jaunes , en chapeaux à coiffes toujours neuves , ayant un lorgnon , allant déjeuner au Palais - Royal , étant d' une bêtise vernissée par des manières qui sentaient l' imitation , Benjamin de La Billardière se croyait joli garçon , et avait tous les vices de la haute société sans en avoir les grâces .
Sûr d' être fait quelque chose , il pensait à écrire un livre pour avoir la croix comme littérateur et l' imputer à ses talents administratifs .
Il cajolait donc Bixiou dans le dessein de l' exploiter , mais sans avoir encore osé s' ouvrir à lui sur ce projet .
Ce noble coeur attendait avec impatience la mort de son père pour succéder à un titre de baron accordé récemment , il mettait sur ses cartes le chevalier de La Billardière , et avait exposé dans son cabinet ses armes encadrées ( chef d' azur à trois étoiles , et deux épées en sautoir sur un fond de sable , avec cette devise : à TOUJOURS FIDèLE ) ! Ayant la manie de s' entretenir de l' art héraldique , il avait demandé au jeune vicomte de Portenduère pourquoi ses armes étaient si chargées , et s' était attiré cette jolie réponse : " Je ne les ai pas fait faire .
" Il parlait de son dévouement à la monarchie , et des bontés que la Dauphine avait pour lui .
Très bien avec des Lupeaulx , il déjeunait souvent avec lui , et le croyait son ami .
Bixiou , posé comme son mentor , espérait débarrasser la division et la France de ce jeune fat en le jetant dans la débauche , et il avouait hautement son projet .
Telles étaient les principales physionomies de la division La Billardière , où il se trouvait encore quelques autres employés dont les moeurs ou les figures se rapprochaient ou s' éloignaient plus ou moins de celles - ci .
On rencontrait dans le bureau Baudoyer des employés à front chauve , frileux , bardés de flanelles , perchés à des cinquièmes étages , y cultivant des fleurs , ayant des cannes d' épine , de vieux habits râpés , le parapluie en permanence .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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