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Chazelle s' endormait souvent en travaillant ; et sa plume , qu' il tenait toujours , marquait par de petits points ses aspirations . Paulmier attribuait alors ce sommeil à des exigences conjugales . En réponse à cette plaisanterie , Chazelle accusait Paulmier de boire de la tisane quatre mois de l' année sur les douze et lui disait qu' il mourrait d' une grisette .
Paulmier démontrait alors que Chazelle indiquait sur un almanach les jours où Mme Chazelle le trouvait aimable . Ces deux employés à force de laver leur linge sale en s' apostrophant à propos des plus menus détails de leur vie privée , avaient obtenu la déconsidération qu' ils méritaient .
" Me prenez - vous pour un Chazelle ? " était un mot qui servait à clore une discussion ennuyeuse .
M . Poiret jeune , pour le distinguer de son frère Poiret l' aîné , retiré dans la Maison Vauquer , où Poiret jeune allait parfois dîner , se proposant d' y finir également ses jours , avait trente ans de service .
La nature n' est pas si invariable dans ses révolutions que le pauvre homme l' était dans les actes de sa vie : il mettait toujours ses affaires dans le même endroit , posait sa plume au même fil du bois , s' asseyait à sa place à la même heure , se chauffait au poêle à la même minute , car sa seule vanité consistait à porter une montre infaillible , réglée d' ailleurs tous les jours sur l' Hôtel de Ville devant lequel il passait , demeurant rue du Martroi .
De six heures à huit heures du matin , il tenait les livres d' une forte maison de nouveautés de la rue Saint - Antoine , et de six heures à huit heures du soir ceux dans la maison Camusot rue des Bourdonnais .
Il gagnait ainsi mille écus , y compris les émoluments de sa place .
Atteignant , à quelques mois près , le temps voulu pour avoir sa pension , il montrait une grande indifférence aux intrigues des bureaux .
Semblable à son frère à qui sa retraite avait porté un coup fatal , il baisserait sans doute beaucoup quand il n' aurait plus à venir de la rue du Martroi au ministère , à s' asseoir sur sa chaise et à expédier .
Chargé de faire la collection du journal auquel s' abonnait le bureau et celle du Moniteur , il avait le fanatisme de cette collection .
Si quelque employé perdait un numéro , l' emportait et ne le rapportait pas , Poiret jeune se faisait autoriser à sortir , se rendait immédiatement au bureau du journal , réclamait le numéro manquant et revenait enthousiasmé de la politesse du caissier .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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