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" Ce jeune homme est doué ! " disait Phellion en le voyant se croiser les jambes et ne savoir à quoi employer le reste de son temps après avoir fait son ouvrage . " Et voyez ! c' est perlé ! " disait le rédacteur à du Bruel . Vimeux déjeunait d' une simple flûte et d' un verre d' eau , dînait pour vingt sous chez Katcomb et logeait en garni à douze francs par mois .
Son bonheur , son seul plaisir était la toilette . Il se ruinait en gilets mirifiques , en pantalons collants , demi - collants , à plis ou à broderies , en bottes fines , en habits bien faits qui dessinaient sa taille , en cols ravissants , en gants frais , en chapeaux .
La main ornée d' une bague à la chevalière mise par - dessus son gant , armé d' une jolie canne , il tâchait de se donner la tournure et les manières d' un jeune homme riche .
Puis , il allait , un cure - dent à la bouche , se promener dans la grande allée des Tuileries , absolument comme un millionnaire sortant de table .
Dans l' espérance qu' une femme , une Anglaise , une étrangère quelconque , ou une veuve pourrait s' amouracher de lui , il étudiait l' art de jouer avec sa canne , et de lancer un regard à la manière dite américaine , par Bixiou .
Il riait pour montrer ses belles dents . Il se passait de chaussettes , et se faisait friser tous les jours .
Vimeux , en vertu de principes arrêtés , épousait une bossue à six mille livres de rente , à huit mille une femme de quarante - cinq ans , à mille écus une Anglaise . Ravi de son écriture et pris de compassion pour ce jeune homme , Phellion le sermonnait pour lui persuader de donner des leçons d' écriture , honorable profession qui pouvait améliorer son existence et la rendre même agréable ; il lui promettait le pensionnat des demoiselles La Grave .
Mais Vimeux avait son idée si fort en tête , que personne ne pouvait l' empêcher de croire à son étoile .
Donc , il continuait à s' étaler à jeun comme un esturgeon de Chevet , quoiqu' il eût vainement exposé ses énormes moustaches depuis trois ans .
Endetté de trente francs pour ses déjeuners , chaque fois que Vimeux passait devant Antoine , il baissait les yeux pour ne pas rencontrer son regard ; et cependant , vers midi , il le priait de lui aller chercher une flûte .
Après avoir essayé de faire entrer quelques idées justes dans cette pauvre tête , Rabourdin avait fini par y renoncer .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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