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Phellion , à qui l' on vint montrer la correction , l' étudia , pesa la différence des expressions , ne craignit pas d' avouer qu' il lui aurait fallu deux heures pour trouver ces équivalents , et s' écria : " M . Rabourdin est un homme de génie ! " Il pensa toujours que ses collègues avaient manqué de procédés à son égard en recourant si promptement au chef ; mais il avait trop de respect dans la hiérarchie pour ne pas reconnaître leur droit d' y recourir , d' autant plus qu' alors il était absent ; cependant , à leur place , il aurait attendu , la circulaire ne pressait pas .
Cette affaire lui fit perdre le sommeil pendant quelques nuits .
Quand on voulait le fâcher , on n' avait qu' à faire allusion à la maudite phrase en lui disant quand il sortait : " Avez - vous les papiers nécessaires ? " Le digne rédacteur se retournait , lançait un regard foudroyant aux employés , et leur répondait : " Ce que vous dites me semble fort déplacé , messieurs .
" Il y eut un jour à ce sujet une querelle si forte que Rabourdin fut obligé d' intervenir et de défendre aux employés de rappeler cette phrase .
M . Phellion avait une figure de bélier pensif , peu colorée , marquée de la petite vérole , de grosses lèvres pendantes , les yeux d' un bleu clair , une taille au - dessus de la moyenne .
Propre sur lui comme doit l' être un maître d' histoire et de géographie obligé de paraître devant de jeunes demoiselles , il portait de beau linge , un jabot plissé , gilet de casimir noir ouvert , laissant voir des bretelles brodées par sa fille , un diamant à sa chemise , habit noir , pantalon bleu .
Il adoptait l' hiver le carrick noisette à trois collets et avait une canne plombée nécessitée par la profonde solitude de quelques parties de son quartier .
Il s' était déshabitué de priser et citait cette réforme comme un exemple frappant de l' empire qu' un homme peut prendre sur lui - même .
Il montait les escaliers lentement , car il craignait un asthme , ayant ce qu' il appelait la poitrine grasse . Il saluait Antoine avec dignité .
Immédiatement après M . Phellion , vint un expéditionnaire qui formait un singulier contraste avec ce vertueux bonhomme . Vimeux était un jeune homme de vingt - cinq ans , à quinze cents francs d' appointements bien fait , cambré , d' une figure élégante et romanesque , ayant les cheveux , la barbe , les yeux , les sourcils noirs comme du jais , de belles dents , des mains charmantes , portant des moustaches si fournies , si bien peignées , qu' il semblait en faire métier et marchandise .
Vimeux avait une si grande aptitude à son travail qu' il l' expédiait plus promptement que personne .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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