----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Les domestiques recevaient un écu de trois livres pour s' acheter du vin et du café . Cette société considérait Baudoyer et Saillard comme des hommes transcendants : ils étaient employés par le gouvernement , ils avaient percé par leur mérite ; ils travaillaient , disait - on , avec le ministre , ils devaient leur fortune à leurs talents , ils étaient des hommes politiques ; mais Baudoyer passait pour le plus capable , sa place de chef de bureau supposait des travaux beaucoup plus compliqués , plus ardus que ceux de la tenue d' une caisse .
Puis , quoique fils d' un mégissier de la rue Censier , Isidore avait eu le génie de faire des études , l' audace de renoncer à l' établissement de son père pour aborder les bureaux , où il était parvenu à un poste éminent .
Enfin , peu communicatif , on le regardait comme un profond penseur , et peut - être , disaient les Transon , deviendra - t - il quelque jour le député du huitième arrondissement .
En entendant ces propos , il arrivait souvent à Gigonnet de pincer ses lèvres , déjà si pincées , et de jeter un coup d' oeil à sa petite - nièce Élisabeth .
Au physique , Isidore était un homme âgé de trente - sept ans , grand et gros , qui transpirait facilement , et dont la tête ressemblait à celle d' un hydrocéphale . Cette tête énorme , couverte de cheveux châtains et coupés ras , se rattachait au col par un rouleau de chair qui doublait le collet de son habit .
Il avait des bras d' Hercule , des mains dignes de Domitien , un ventre que sa sobriété contenait au majestueux , selon le mot de Brillat - Savarin .
Sa figure tenait beaucoup de celle de l' empereur Alexandre . Le type tartare se retrouvait dans ses petits yeux , dans son nez aplati relevé du bout , dans sa bouche à lèvres froides et dans son menton court .
Le front était bas et étroit . Quoique d' un tempérament lymphatique , le dévot Isidore s' adonnait à une excessive passion conjugale que le temps n' altérait point .
Malgré sa ressemblance avec le bel empereur de Russie et le terrible Domitien , Isidore était tout simplement un bureaucrate , peu capable comme chef de bureau , mais routinièrement formé au travail et qui cachait une nullité flasque sous une enveloppe si épaisse qu' aucun scalpel ne pouvait la mettre à nu .
Ses fortes études , pendant lesquelles il déploya la patience et la sagesse d' un boeuf , sa tête carrée avaient trompé ses parents , qui le crurent un homme extraordinaire .

LES EMPLOYES (VII, paris)
Page: 940