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Puis il travaillait une heure ou deux c' est - à - dire il s' étendait dans un bon fauteuil pour lire les journaux , dicter le sens d' une lettre , recevoir quand le ministre n' y était pas , expliquer en gros la besogne , attraper ou distribuer quelques gouttes d' eau bénite de cour , parcourir des pétitions d' un coup de lorgnon ou les apostiller par une signature qui signifiait : " Je m' en moque , faites comme vous voudrez ! " chacun savait que quand des Lupeaulx s' intéressait à quelqu' un ou à quelque chose , il s' en mêlait personnellement . Il permettait aux employés supérieurs quelques causeries intimes sur les affaires délicates , et il écoutait leurs cancans . De temps en temps il allait au Château prendre le mot d' ordre .
Enfin il attendait le ministre au retour de la Chambre quand il y avait session , pour savoir s' il fallait inventer et diriger quelque manoeuvre . Le sybarite ministériel s' habillait , dînait et visitait douze ou quinze salons de huit heures à trois heures du matin .
à l' Opéra , il causait avec les journalistes , car il était avec eux du dernier bien ; il y avait entre eux un continuel échange de petits services , il leur entonnait ses fausses nouvelles et gobait les leurs ; il les empêchait d' attaquer tel ou tel ministre sur telle ou telle chose qui ferait , disait - il , une vraie peine à leurs femmes ou à leurs maîtresses ,
" Dites que le projet de loi ne vaut rien , et démontrez - le si vous pouvez ; mais ne dites pas que Mariette a mal dansé . Calomniez notre affection pour nos proches en jupons , mais ne révélez pas nos farces de jeune homme .
Diantre ! nous avons tous fait nos vaudevilles , et nous ne savons pas ce que nous pouvons devenir par le temps qui court . Vous serez peut - être ministre , vous qui salez aujourd' hui les tartines du Constitutionnel .
"
En revanche , dans l' occasion il servait les rédacteurs , il levait tout obstacle à la représentation d' une pièce , il lâchait à propos des gratifications ou quelque bon dîner , il promettait de faciliter la conclusion d' une affaire .
D' ailleurs il aimait la littérature et protégeait les arts : il avait des autographes , de magnifiques albums gratis , des esquisses , des tableaux . Il faisait beaucoup de bien aux artistes en ne leur nuisant pas , en les soutenant dans certaines occasions où leur amour - propre voulait une satisfaction peu coûteuse .
Aussi était - il aimé par tout ce monde de coulisses , de journalistes et d' artistes .
D' abord tous avaient les mêmes vices et la même paresse ; puis ils se moquaient si bien de tout entre deux vins ou entre deux danseuses ! le moyen de ne pas être amis ? Si des Lupeaulx n' eût pas été secrétaire général , il aurait été journaliste .
Aussi dans la lutte des quinze années où la batte de l' épigramme ouvrit la brèche par où passa l' insurrection , des Lupeaulx ne reçut - il jamais le moindre coup .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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