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Rabourdin , qui se disait : " On est ministre pour avoir de la décision , connaître les affaires et les faire marcher " , vit le rapport régnant en France depuis le colonel jusqu' au maréchal , depuis le commissaire de police jusqu' au Roi , depuis les préfets jusqu' aux ministres , depuis la Chambre jusqu' à la loi . Dès 1818 , tout commençait à se discuter , se balancer et se contrebalancer de vive voix et par écrit , tout prenait la forme littéraire .
La France allait se ruiner malgré de si beaux rapports , et disserter au lieu d' agir .
Il se faisait alors en France un million de rapports écrits par année ! Aussi la Bureaucratie régnait - elle ! Les dossiers , les cartons , les paperasses à l' appui des pièces sans lesquelles la France serait perdue , la circulaire sans laquelle elle n' irait pas , s' accrurent et embellirent .
La Bureaucratie entretint dès lors à son profit la méfiance entre la recette et la dépense , elle calomnia l' Administration pour le salut de l' administrateur .
Enfin elle inventa les fils lilliputiens qui enchaînent la France à la centralisation parisienne , comme si , de 1500 à 1800 , la France n' avait rien pu entreprendre sans trente mille commis .
En s' attachant à la chose publique , comme le gui au poirier , l' employé s' en désintéressa complètement , et voici comme .
Obligés d' obéir aux princes ou aux Chambres qui leur imposent des parties prenantes au budget et forcés de garder des travailleurs , les ministres diminuaient les salaires et augmentaient les emplois , en pensant que plus il y aurait de monde employé par le gouvernement , plus le gouvernement serait fort .
La loi contraire est un axiome écrit dans l' univers : il n' y a d' énergie que par la rareté des principes agissants .
Aussi l' événement a - t - il prouvé , vers juillet 1830 , l' erreur du ministérialisme de la Restauration . Pour implanter un gouvernement au coeur d' une nation , il faut savoir y rattacher des intérêts et non des hommes .
Conduit à mépriser le gouvernement qui lui retirait à la fois considération et salaire , l' employé se comportait en ce moment avec lui comme une courtisane avec un vieil amant , il lui donnait du travail pour son argent : situation aussi peu tolérable pour l' Administration que pour l' employé , si tous deux osaient se tâter le pouls , et si les gros salaires n' étouffaient pas la voix des petits .
Seulement occupé de se maintenir , de toucher ses appointements et d' arriver à sa pension , l' employé se croyait tout permis pour obtenir ce grand résultat .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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