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Le courant des affaires devant toujours s' expédier , il surnage une certaine quantité de commis indispensables quoique congéables à merci et qui veulent rester en place . La bureaucratie , pouvoir gigantesque mis en mouvement par des nains , est née ainsi . Si , en subordonnant toute chose et tout homme à sa volonté , Napoléon avait retardé pour un moment l' influence de la bureaucratie , ce rideau pesant placé entre le bien à faire et celui qui peut l' ordonner , elle s' était définitivement organisée sous le gouvernement constitutionnel , inévitablement ami des médiocrités , grand amateur de pièces probantes et de comptes , enfin tracassier comme une petite bourgeoise .
Heureux de voir les ministres en lutte constante avec quatre cents petits esprits , avec dix ou douze têtes ambitieuses et de mauvaise foi , les bureaux se hâtèrent de se rendre nécessaires en se substituant à l' action vivante par l' action écrite , et ils créèrent une puissance d' inertie appelée le Rapport .
Expliquons le Rapport .
Quand les rois eurent des ministres , ce qui n' a commencé que sous Louis XV , ils se firent faire des rapports sur les questions importantes , au lieu de tenir , comme autrefois , conseil avec les grands de l' État .
Insensiblement , les ministres furent amenés par leurs bureaux à imiter les rois . Occupés de se défendre devant les deux Chambres et devant la Cour , ils se laissèrent mener par les lisières du rapport .
Il ne se présenta rien d' important dans l' Administration , que le ministre , à la chose la plus urgente , ne répondît : " J' ai demandé un rapport . " Le rapport devint ainsi , pour l' affaire et pour le ministre , ce qu' est le rapport à la Chambre des députés pour les lois : une consultation où sont traitées les raisons contre et pour avec plus ou moins de partialité .
Le ministre , de même que la Chambre , se trouve tout aussi avancé avant qu' après le rapport .
Toute espèce de parti se prend en un instant . Quoi qu' on fasse , il faut arriver au moment où l' on se décide . Plus on met en bataille de raisons pour et de raisons contre , moins le jugement est sain .
Les plus belles choses de la France se sont accomplies quand il n' existait pas de rapport et que les décisions étaient spontanées . La loi suprême de l' homme d' État est d' appliquer des formules précises à tous les cas , à la manière des juges et des médecins .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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