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L' esprit de Célestine concevait alors tout , et elle se contemplait elle - même dans l' étendue de ses idées . Au débouché de ces belles imaginations , Rabourdin , à qui la pratique était connue , resta froid . Célestine attristée jugea son mari étroit de cervelle , timide , peu compréhensif , et prit insensiblement la plus fausse opinion sur le compagnon de sa vie : d' abord , elle l' éteignait constamment par le brillant de sa discussion ; puis , comme ses idées à elle lui venaient par éclairs , elle l' arrêtait court quand il commençait à donner une explication , afin de ne pas perdre une étincelle de son esprit .
Dès les premiers jours de leur mariage , en se sentant aimée et admirée par Rabourdin , Célestine fut sans façon avec lui , elle se mit au - dessus de toutes les lois conjugales et de politesse intime , en demandant au nom de l' amour le pardon de ses petits méfaits ; et comme elle ne se corrigea point , elle domina constamment .
Dans cette situation , un homme se trouve vis - à - vis de sa femme comme un enfant devant son précepteur , quand il ne peut ou ne veut pas croire que l' enfant qu' il a régenté petit soit devenu grand .
Semblable à Mme de Staël qui criait en plein salon à un plus grand homme qu' elle : " Savez - vous que vous venez de dire quelque chose de bien profond ! " Mme Rabourdin disait de son mari : " Il a quelquefois de l' esprit .
" Insensiblement la dépendance dans laquelle elle continuait à tenir Xavier se manifesta sur sa physionomie par d' imperceptibles mouvements .
Son attitude et ses manières exprimèrent son manque de respect .
Sans le savoir , elle nuisit donc à son mari ; car , en tout pays , avant de juger un homme , le monde écoute ce qu' en pense sa femme , et demande ainsi ce que les Genevois appellent un préavis ( en genevois on prononce préavisse ) .
Quand Rabourdin s' aperçut des fautes que l' amour lui avait fait commettre , le pli était pris ; il se tut et souffrit .
Semblable à quelques hommes chez lesquels le sentiment et les idées sont en force égale , chez lesquels il se rencontre tout à la fois une belle âme et une cervelle bien organisée , il fut l' avocat de sa femme au tribunal de son jugement ; il se dit que la nature l' avait destinée à un rôle manqué par sa faute , à lui ; elle était comme un cheval anglais de pur sang , un coureur attelé à une charrette pleine de moellons , elle souffrait ; enfin il se condamna .
Puis , à force de les répéter , sa femme lui avait inoculé ses croyances en elle - même .

LES EMPLOYES (VII, paris)
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