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- Nanon est allée en chercher chez Fessard , il n' y en avait pas . "
Il est impossible de se figurer l' intérêt profond que cette scène muette offrait à ces trois femmes : Nanon avait quitté sa cuisine et regardait dans la salle pour voir comment les choses s' y passeraient .
Charles , ayant goûté son café , le trouva trop amer et chercha le sucre que Grandet avait déjà serré .
" Que voulez - vous , mon neveu ? lui dit le bonhomme .
- Le sucre .
- Mettez du lait , répondit le maître de la maison , votre café s' adoucira . "
Eugénie reprit la soucoupe au sucre que Grandet avait déjà serrée , et la mit sur la table en contemplant son père d' un air calme . Certes , la Parisienne qui , pour faciliter la fuite de son amant , soutient de ses faibles bras une échelle de soie , ne montre pas plus de courage que n' en déployait Eugénie en remettant le sucre sur la table .
L' amant récompensera sa Parisienne qui lui fera voir orgueilleusement un beau bras meurtri dont chaque veine flétrie sera baignée de larmes , de baisers , et guérie par le plaisir ; tandis que Charles ne devait jamais être dans le secret des profondes agitations qui brisaient le coeur de sa cousine , alors foudroyée par le regard du vieux tonnelier .
" Tu ne manges pas , ma femme ? "
La pauvre ilote s' avança , coupa piteusement un morceau de pain , et prit une poire . Eugénie offrit audacieusement à son père du raisin , en lui disant : " Goûte donc à ma conserve , papa ! Mon cousin , vous en mangerez , n' est - ce pas ? Je suis allée chercher ces jolies grappes - là pour vous .
- Oh ! si on ne les arrête , elles mettront Saumur au pillage pour vous , mon neveu . Quand vous aurez fini , nous irons ensemble dans le jardin , j' ai à vous dire des choses qui ne sont pas sucrées . "
Eugénie et sa mère lancèrent un regard sur Charles , à l' expression duquel le jeune homme ne put se tromper .
" Qu' est - ce que ces mots signifient , mon oncle ? Depuis la mort de ma pauvre mère ... ( à ces deux mots , sa voix mollit ) il n' y a pas de malheur possible pour moi ...
- Mon neveu , qui peut connaître les afflictions par lesquelles Dieu veut nous éprouver ? lui dit sa tante .
EUGENIE GRANDET (III, provinc)
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