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Aux deux fenêtres étaient drapés des rideaux en gros de Tours rouge , relevés par des cordons de soie à glands d' église . Cette luxueuse décoration , si peu en harmonie avec les habitudes de Grandet , avait été comprise dans l' achat de la maison , ainsi que le trumeau , le cartel , le meuble en tapisserie et les encoignures en bois de rose .
Dans la croisée la plus rapprochée de la porte , se trouvait une chaise de paille dont les pieds étaient montés sur des patins , afin d' élever Mme Grandet à une hauteur qui lui permît de voir les passants .
Une travailleuse en bois de merisier déteint remplissait l' embrasure , et le petit fauteuil d' Eugénie Grandet était placé tout auprès . Depuis quinze ans , toutes les journées de la mère et de la fille s' étaient paisiblement écoulées à cette place , dans un travail constant , à compter du mois d' avril jusqu' au mois de novembre .
Le premier de ce dernier mois elles pouvaient prendre leur station d' hiver à la cheminée .
Ce jour - là seulement Grandet permettait qu' on allumât du feu dans la salle , et il le faisait éteindre au trente et un mars , sans avoir égard ni aux premiers froids du printemps ni à ceux de l' automne .
Une chaufferette , entretenue avec la braise provenant du feu de la cuisine que la Grande Nanon leur réservait en usant d' adresse , aidait Mme et Mlle Grandet à passer les matinées ou les soirées les plus fraîches des mois d' avril et d' octobre .
La mère et la fille entretenaient tout le linge de la maison , et employaient si consciencieusement leurs journées à ce véritable labeur d' ouvrière , que , si Eugénie voulait broder une collerette à sa mère , elle était forcée de prendre sur ses heures de sommeil en trompant son père pour avoir de la lumière .
Depuis longtemps l' avare distribuait la chandelle à sa fille et à la Grande Nanon , de même qu' il distribuait dès le matin le pain et les denrées nécessaires à la consommation journalière .
La Grande Nanon était peut - être la seule créature humaine capable d' accepter le despotisme de son maître . Toute la ville l' enviait à M . et à Mme Grandet . La Grande Nanon , ainsi nommée à cause de sa taille haute de cinq pieds huit pouces , appartenait à Grandet depuis trente - cinq ans .
Quoiqu' elle n' eût que soixante livres de gages , elle passait pour une des plus riches servantes de Saumur . Ces soixante livres , accumulées depuis trente - cinq ans , lui avaient permis de placer récemment quatre mille livres en viager chez Me Cruchot .

EUGENIE GRANDET (III, provinc)
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