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Cruchot s' apercevait bientôt à l' audience de sa sottise . Le magistrat protégeait ceux qui le nommaient M . le président , mais il favorisait de ses plus gracieux sourires les flatteurs qui lui disaient M . de Bonfons . M . le président était âgé de trente - trois ans , possédait le domaine de Bonfons ( Boni fontis ) , valant sept mille livres de rente ; il attendait la succession de son oncle le notaire et celle de son oncle l' abbé Cruchot , dignitaire du chapitre de Saint - Martin de Tours , qui tous deux passaient pour être assez riches .
Ces trois Cruchot , soutenus par bon nombre de cousins , alliés à vingt maisons de la ville , formaient un parti , comme jadis à Florence les Médicis ; et , comme les Médicis , les Cruchot avaient leurs Pazzi .
Mme des Grassins , mère d' un fils de vingt - trois ans , venait très assidûment faire la partie de Mme Grandet , espérant marier son cher Adolphe avec Mlle Eugénie .
M . des Grassins le banquier favorisait vigoureusement les manoeuvres de sa femme par de constants services secrètement rendus au vieil avare , et arrivait toujours à temps sur le champ de bataille .
Ces trois des Grassins avaient également leurs adhérents , leurs cousins , leurs alliés fidèles . Du côté des Cruchot , l' abbé , le Talleyrand de la famille , bien appuyé par son frère le notaire , disputait vivement le terrain à la financière et tentait de réserver le riche héritage à son neveu le président .
Ce combat secret entre les Cruchot et les des Grassins , dont le prix était la main d' Eugénie Grandet , occupait passionnément les diverses sociétés de Saumur .
Mlle Grandet épousera - t - elle M . le président ou M .
Adolphe des Grassins ? à ce problème , les uns répondaient que M . Grandet ne donnerait sa fille ni à l' un ni à l' autre . L' ancien tonnelier rongé d' ambition cherchait , disaient - ils , pour gendre quelque pair de France , à qui trois cent mille livres de rente feraient accepter tous les tonneaux passés , présents et futurs des Grandet .
D' autres répliquaient que M . et Mme des Grassins étaient nobles , puissamment riches , qu' Adolphe était un bien gentil cavalier , et qu' à moins d' avoir un neveu du pape dans sa manche , une alliance si convenable devait satisfaire des gens de rien , un homme que tout Saumur avait vu la doloire en main , et qui , d' ailleurs , avait porté le bonnet rouge .
Les plus sensés faisaient observer que M .
Cruchot de Bonfons avait ses entrées à toute heure au logis , tandis que son rival n' y était reçu que les dimanches .
EUGENIE GRANDET (III, provinc)
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