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Grandet , les gens capables disaient - ils : " Le père Grandet ? ... le père Grandet doit avoir cinq à six millions . - Vous êtes plus habile que je ne le suis , je n' ai jamais pu savoir le total " , répondaient M . Cruchot ou M . des Grassins s' ils entendaient le propos . Quelque Parisien parlait - il des Rothschild ou de M .
Laffitte , les gens de Saumur demandaient s' ils étaient aussi riches que M . Grandet . Si le Parisien leur jetait en souriant une dédaigneuse affirmation , ils se regardaient en hochant la tête d' un air d' incrédulité .
Une si grande fortune couvrait d' un manteau d' or toutes les actions de cet homme . Si d' abord quelques particularités de sa vie donnèrent prise au ridicule et à la moquerie , la moquerie et le ridicule s' étaient usés .
En ses moindres actes , M . Grandet avait pour lui l' autorité de la chose jugée . Sa parole , son vêtement , ses gestes , le clignement de ses yeux faisaient loi dans le pays , où chacun , après l' avoir étudié comme un naturaliste étudie les effets de l' instinct chez les animaux , avait pu reconnaître la profonde et muette sagesse de ses plus légers mouvements .
" L' hiver sera rude , disait - on , le père Grandet a mis ses gants fourrés : il faut vendanger .
- Le père Grandet prend beaucoup de merrain , il y aura du vin cette année . " M . Grandet n' achetait jamais ni viande ni pain .
Ses fermiers lui apportaient par semaine une provision suffisante de chapons , de poulets , d' oeufs , de beurre et de blé de rente . Il possédait un moulin dont le locataire devait , en sus du bail , venir chercher une certaine quantité de grains et lui en rapporter le son et la farine .
La grande Nanon , son unique servante , quoiqu' elle ne fût plus jeune , boulangeait elle - même tous les samedis le pain de la maison .
M . Grandet s' était arrangé avec les maraîchers , ses locataires , pour qu' ils le fournissent de légumes . Quant aux fruits , il en récoltait une telle quantité qu' il en faisait vendre une grande partie au marché .
Son bois de chauffage était coupé dans ses haies ou pris dans les vieilles truisses à moitié pourries qu' il enlevait au bord de ses champs , et ses fermiers le lui charroyaient en ville tout débité , le rangeaient par complaisance dans son bûcher et recevaient ses remerciements .
EUGENIE GRANDET (III, provinc)
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