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Sa figure se faisait remarquer par des sourcils épais comme des buissons sous lesquels pétillaient des yeux gris , et par un nez carré , gros et long , qui lui donnait l' air d' un ancien prébendier . Cette physionomie tenait parole .
Le père Cardot appartenait en effet à cette race de Gérontes égrillards qui disparaît de jour en jour et qui défrayait de Turcarets les romans et les comédies du dix - huitième siècle . L' oncle Cardot disait : Belle dame ! il reconduisait en voiture les femmes qui se trouvaient sans protecteur ; il se mettait à leur disposition , selon son expression , avec des façons chevaleresques .
Sous son air calme , sous son front neigeux , il cachait une vieillesse uniquement occupée de plaisir .
Entre hommes , il professait hardiment l' épicuréisme et se permettait des gaudrioles un peu fortes . Il n' avait pas trouvé mauvais que son gendre Camusot fît la cour à la charmante actrice Coralie , car lui - même était secrètement le Mécène de Mlle Florentine , première danseuse du théâtre de la Gaîté .
Mais de cette vie et de ces opinions , il ne paraissait rien chez lui , ni dans sa conduite extérieure .
L' oncle Cardot , grave et poli , passait pour être presque froid , tant il affichait de décorum , et une dévote l' eût appelé hypocrite .
Ce digne monsieur haïssait particulièrement les prêtres , il faisait partie de ce grand troupeau de niais abonnés au Constitutionnel , et se préoccupait beaucoup des refus de sépulture . Il adorait Voltaire quoique ses préférences fussent pour Piron , Vadé , Collé .
Naturellement il admirait Béranger , qu' il appelait ingénieusement le grand - prêtre de la religion de Lisette . Ses filles , Mme Camusot et Mme Protez , ses deux fils , seraient , suivant une expression populaire , tombés de leur haut , si quelqu' un leur eût expliqué ce que leur père entendait par : chanter la Mère Godichon ! Ce sage vieillard n' avait point parlé de ses rentes viagères à ses enfants , qui , le voyant vivre si mesquinement , songeaient tous qu' il s' était dépouillé de sa fortune pour eux , et redoublaient de soins et de tendresse .
Aussi , parfois disait - il à ses fils : " Ne perdez pas votre fortune , car je n' en ai point à vous laisser .
"

DEBUT DANS LA VIE (I, privé)
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