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Quoique les départs pour L' Isle - Adam dussent avoir lieu à heure fixe , Pierrotin et son co - messager pratiquaient à cet égard une indulgence qui , si elle leur conciliait l' affection des gens du pays , leur valait de fortes remontrances de la part des étrangers , habitués à la régularité des grands établissements publics ; mais les deux conducteurs de cette voiture , moitié diligence , moitié coucou , trouvaient toujours des défenseurs parmi leurs habitués . Le soir , le départ de quatre heures traînait jusqu' à quatre heures et demie , et celui du matin , quoique indiqué pour huit heures , n' avait jamais lieu avant neuf heures .
Ce système était d' ailleurs excessivement élastique . En été , temps d' or pour les messagers , la loi des départs , rigoureuse envers les inconnus , ne pliait que pour les gens du pays .
Cette méthode offrait à Pierrotin la possibilité d' empocher le prix de deux places pour une , quand un habitant du pays venait de bonne heure demander une place appartenant à un oiseau de passage qui , par malheur , était en retard .
Cette élasticité ne trouverait certes pas grâce aux yeux des puristes en morale ; mais Pierrotin et son collègue la justifiaient par la dureté des temps , par leurs pertes pendant la saison d' hiver , par la nécessité d' avoir bientôt de meilleures voitures , et enfin par l' exacte observation de la loi écrite sur des bulletins dont les exemplaires excessivement rares ne se donnaient qu' aux voyageurs de passage assez obstinés pour en exiger .
Pierrotin , homme de quarante ans , était déjà père de famille . Sorti de la cavalerie à l' époque du licenciement de 1815 , ce brave garçon avait succédé à son père , qui menait de L' Isle - Adam à Paris un coucou d' allure assez capricieuse .
Après avoir épousé la fille d' un petit aubergiste , il donna de l' extension au service de L' Isle - Adam , le régularisa , se fit remarquer par son intelligence et par une exactitude militaire .
Leste , décidé , Pierrotin ( ce nom devait être un surnom ) imprimait , par la mobilité de sa physionomie , à sa figure rougeaude et faite aux intempéries , une expression narquoise qui ressemblait à un air spirituel .
Il ne manquait d' ailleurs pas de cette facilité de parler qui s' acquiert à force de voir le monde et différents pays . Sa voix , par l' habitude de s' adresser à des chevaux et de crier gare , avait contracté de la rudesse ; mais il prenait un ton doux avec les bourgeois .
Son costume , comme celui des messagers du second ordre , consistait en de bonnes grosses bottes pesantes de clous , faites à L' Isle - Adam , et un pantalon de gros velours vert bouteille et une veste de semblable étoffe mais par - dessus laquelle pendant l' exercice de ses fonctions , il portait une blouse bleue , ornée au col , aux épaules et aux poignets de broderies multicolores .

DEBUT DANS LA VIE (I, privé)
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