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" J' ai su , par mes propres douleurs , combien mes coquetteries vous ont fait souffrir ; mais alors , j' étais dans une complète ignorance de l' amour . Vous êtes , vous , dans le secret de ces tortures , et vous me les imposez . Pendant les huit premiers mois que vous m' avez accordés , vous ne vous êtes point fait aimer .
Pourquoi , mon ami ? Je ne sais pas plus vous le dire , que je ne puis vous expliquer pourquoi je vous aime . Ah ! certes , j' étais flattée de me voir l' objet de vos discours passionnés , de recevoir vos regards de feu ; mais vous me laissiez froide et sans désirs .
Non , je n' étais point femme , je ne concevais ni le dévouement ni le bonheur de notre sexe . à qui la faute ! Ne m' auriez - vous pas méprisée , si je m' étais livrée sans entraînement ? Peut - être est - ce le sublime de notre sexe , de se donner sans recevoir aucun plaisir ; peut - être n' y a - t - il aucun mérite à s' abandonner à des jouissances connues et ardemment désirées ? Hélas ! mon ami , je puis vous le dire , ces pensées me sont venues quand j' étais si coquette pour vous ; mais je vous trouvais déjà si grand , que je ne voulais pas que vous me dussiez à la pitié ... Quel mot viens - je d' écrire ? Ah ! j' ai repris chez vous toutes mes lettres , je les jette au feu ! Elles brûlent .
Tu ne sauras jamais ce qu' elles accusaient d' amour , de passion , de folie ... Je me tais , Armand , je m' arrête , je ne veux plus rien vous dire de mes sentiments .
Si mes voeux n' ont pas été entendus d' âme à âme , je ne pourrais donc plus , moi aussi , moi la femme , ne devoir votre amour qu' à votre pitié .
Je veux être aimée irrésistiblement ou laissée impitoyablement .
Si vous refusez de lire cette lettre , elle sera brûlée .
Si , l' ayant lue , vous n' êtes pas trois heures après , pour toujours , mon seul époux , je n' aurai point de honte à vous la savoir entre les mains : la fierté de mon désespoir garantira ma mémoire de toute injure , et ma fin sera digne de mon amour .
Vous - même , ne me rencontrant plus sur cette terre , quoique vivante , vous ne penserez pas sans frémir à une femme qui , dans trois heures , ne respirera plus que pour vous accabler de sa tendresse , à une femme consumée par un amour sans espoir , et fidèle , non pas à des plaisirs partagés , mais à des sentiments méconnus .
La duchesse de La Vallière pleurait un bonheur perdu , sa puissance évanouie ; tandis que la duchesse de Langeais sera heureuse de ses pleurs et restera pour vous un pouvoir .
Oui , vous me regretterez .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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