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Vous me tueriez . Plus tard , vous en seriez au désespoir , en apprenant combien vous êtes aimé . Si je vous ai malheureusement compris , si vous n' avez pour moi que de l' aversion , l' aversion comporte et mépris et dégoût ; alors , tout espoir m' abandonne : les hommes ne reviennent pas de ces deux sentiments . Quelque terrible qu' elle puisse être , cette pensée apportera des consolations à ma longue douleur . Vous n' aurez pas de regrets un jour . Des regrets ! ah , mon Armand , que je les ignore .
Si je vous en causais un seul ? ... Non je ne veux pas vous dire quels ravages il ferait en moi . Je vivrais et ne pourrais plus être votre femme . Après m' être entièrement donnée à vous en pensée , à qui donc me donner ? ... à Dieu .
Oui , les yeux que vous avez aimés pendant un moment ne verront plus aucun visage d' homme ; et puisse la gloire de Dieu les fermer ! Je n' entendrai plus de voix humaine après avoir entendu la vôtre , si douce d' abord , si terrible hier , car je suis toujours au lendemain de votre vengeance ; puisse donc la parole de Dieu me consumer ! Entre sa colère et la vôtre , mon ami , il n' y aura pour moi que larmes et que prières .
Vous vous demanderez peut - être pourquoi vous écrire ?
Hélas ! ne m' en voulez pas de conserver une lueur d' espérance , de jeter encore un soupir sur la vie heureuse avant de la quitter pour un jamais . Je suis dans une horrible situation . J' ai toute la sérénité que communique à l' âme une grande résolution , et sens encore les derniers grondements de l' orage .
Dans cette terrible aventure qui m' a tant attachée à vous , Armand , vous alliez du désert à l' oasis , mené par un bon guide .
Eh bien , moi , je me traîne de l' oasis au désert , et vous m' êtes un guide sans pitié . Néanmoins , vous seul , mon ami , pouvez comprendre la mélancolie des derniers regards que je jette au bonheur , et vous êtes le seul auquel je puisse me plaindre sans rougir .
Si vous m' exaucez , je serai heureuse ; si vous êtes inexorable , j' expierai mes torts .
Enfin , n' est - il pas naturel à une femme de vouloir rester dans la mémoire de son aimé , revêtue de tous les sentiments nobles ? Oh ! seul cher à moi ! laissez votre créature s' ensevelir avec la croyance que vous la trouverez grande .
Vos sévérités m' ont fait réfléchir , et depuis que je vous aime bien , je me suis trouvée moins coupable que vous ne le pensez . Écoutez donc ma justification , je vous la dois ; et vous , qui êtes tout pour moi dans le monde , vous me devez au moins un instant de justice .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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