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L' amour et la passion sont deux différents états de l' âme que poètes et gens du monde , philosophes et niais confondent continuellement . L' amour comporte une mutualité de sentiments , une certitude de jouissances que rien n' altère , et un trop constant échange de plaisirs , une trop complète adhérence entre les coeurs pour ne pas exclure la jalousie . La possession est alors un moyen et non un but ; une infidélité fait souffrir , mais ne détache pas ; l' âme n' est ni plus ni moins ardente ou troublée , elle est incessamment heureuse ; enfin le désir étendu par un souffle divin d' un bout à l' autre sur l' immensité du temps nous le teint d' une même couleur : la vie est bleue comme l' est un ciel pur .
La passion est le pressentiment de l' amour et de son infini auquel aspirent toutes les âmes souffrantes .
La passion est un espoir qui peut - être sera trompé . Passion signifie à la fois souffrance et transition ; la passion cesse quand l' espérance est morte .
Hommes et femmes peuvent , sans se déshonorer , concevoir plusieurs passions ; il est si naturel de s' élancer vers le bonheur ! mais il n' est dans la vie qu' un seul amour . Toutes les discussions , écrites ou verbales , faites sur les sentiments , peuvent donc être résumées par ces deux questions : Est - ce une passion ? Est - ce l' amour ? L' amour n' existant pas sans la connaissance intime des plaisirs qui le perpétuent , la duchesse était donc sous le joug d' une passion ; aussi en éprouva - t - elle les dévorantes agitations , les involontaires calculs , les desséchants désirs , enfin tout ce qu' exprime le mot passion : elle souffrit .
Au milieu des troubles de son âme , il se rencontrait des tourbillons soulevés par sa vanité , par son amour - propre , par son orgueil ou par sa fierté : toutes ces variétés de l' égoïsme se tiennent .
Elle avait dit à un homme : " Je t' aime , je suis à toi ! " La duchesse de Langeais pouvait - elle avoir inutilement proféré ces paroles ? Elle devait ou être aimée ou abdiquer son rôle social .
Sentant alors la solitude de son lit voluptueux où la volupté n' avait pas encore mis ses pieds chauds , elle s' y roulait , s' y tordait en se répétant : " Je veux être aimée ! " Et la foi qu' elle avait encore en elle lui donnait l' espoir de réussir .
La duchesse était piquée , la vaniteuse Parisienne était humiliée , la femme vraie entrevoyait le bonheur , et son imagination , vengeresse du temps perdu pour la nature , se plaisait à lui faire flamber les feux inextinguibles du plaisir .
Elle atteignait presque aux sensations de l' amour , car , dans le doute d' être aimée qui la poignait , elle se trouvait heureuse de se dire à elle - même " Je l' aime ! " Le monde et Dieu , elle avait envie de les fouler à ses pieds .
Montriveau était maintenant sa religion .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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