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" Vous venez chez une faible créature avec des calculs bien arrêtés , en vous disant : " Elle me parlera de son mari pendant un certain temps , puis de Dieu , puis des suites inévitables de l' amour ; mais j' userai , j' abuserai de l' influence que j' aurai conquise ; je me rendrai nécessaire , j' aurai pour moi les liens de l' habitude , les arrangements tout faits par le public ; enfin , quand le monde aura fini par accepter notre liaison , je serai le maître de cette femme . " Soyez franc , ce sont là vos pensées ... Ah ! vous calculez , et vous dites aimer , fi ! Vous êtes amoureux , ha ! je le crois bien ! Vous me désirez , et voulez m' avoir pour maîtresse , voilà tout .
Hé bien , non , la duchesse de Langeais ne descendra pas jusque - là .
Que de naïves bourgeoises soient les dupes de vos faussetés ; moi , je ne le serai jamais . Rien ne m' assure de votre amour . Vous me parlez de ma beauté , je puis devenir laide en six mois , comme la chère princesse ma voisine .
Vous êtes ravi de mon esprit , de ma grâce ; mon Dieu , vous vous y accoutumerez comme vous vous accoutumeriez au plaisir . Ne vous êtes - vous pas habitué depuis quelques mois aux faveurs que j' ai eu la faiblesse de vous accorder ? Quand je serai perdue , un jour , vous ne me donnerez d' autre raison de votre changement que le mot décisif : Je n' aime plus .
Rang , fortune , honneur , toute la duchesse de Langeais se sera engloutie dans une espérance trompée .
J' aurai des enfants qui attesteront ma honte , et ... mais , reprit - elle en laissant échapper un geste d' impatience , je suis trop bonne de vous expliquer ce que vous savez mieux que moi .
Allons ! restons - en là . Je suis trop heureuse de pouvoir encore briser les liens que vous croyez si forts . Y a - t - il donc quelque chose de si héroïque à être venu à l' hôtel de Langeais passer tous les soirs quelques instants auprès d' une femme dont le babil vous plaisait , de laquelle vous vous amusiez comme d' un joujou ? Mais quelques jeunes fats arrivent chez moi , de trois heures à cinq heures , aussi régulièrement que vous venez le soir .
Ceux - là sont donc bien généreux .
Je me moque d' eux , ils supportent assez tranquillement mes boutades , mes impertinences , et me font rire ; tandis que vous , à qui j' accorde les plus précieux trésors de mon âme , vous voulez me perdre , et me causez mille ennuis .
Taisez - vous , assez , assez , dit - elle en le voyant prêt à parler , vous n' avez ni coeur , ni âme , ni délicatesse .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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