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Cette résistance égoïste la lui faisait prendre pour une sainte et vertueuse créature , et il se résignait , et il parlait d' amour platonique , le général d' artillerie ! Quand elle eut assez joué de la religion dans son intérêt personnel , Mme de Langeais en joua dans celui d' Armand : elle voulut le ramener à des sentiments chrétiens , elle lui refit Le Génie du christianisme à l' usage des militaires . Montriveau s' impatienta , trouva son joug pesant . Oh ! alors , par esprit de contradiction , elle lui cassa la tête de Dieu pour voir si Dieu la débarrasserait d' un homme qui allait à son but avec une constance dont elle commençait à s' effrayer .
D' ailleurs , elle se plaisait à prolonger toute querelle qui paraissait éterniser la lutte morale , après laquelle venait une lutte matérielle bien autrement dangereuse .
Mais si l' opposition faite au nom des lois du mariage représente l' époque civile de cette guerre sentimentale , celle - ci en constituerait l' époque religieuse , et elle eut , comme la précédente , une crise après laquelle sa rigueur devait décroître .
Un soir , Armand , venu fortuitement de très bonne heure , trouva M . l' abbé Gondrand , directeur de la conscience de Mme de Langeais , établi dans un fauteuil au coin de la cheminée , comme un homme en train de digérer son dîner et les jolis péchés de sa pénitente .
La vue de cet homme au teint frais et reposé , dont le front était calme , la bouche ascétique , le regard malicieusement inquisiteur , qui avait dans son maintien une véritable noblesse ecclésiastique , et déjà dans son vêtement le violet épiscopal , rembrunit singulièrement le visage de Montriveau qui ne salua personne et resta silencieux .
Sorti de son amour , le général ne manquait pas de tact ; il devina donc , en échangeant quelques regards avec le futur évêque , que cet homme était le promoteur des difficultés dont s' armait pour lui l' amour de la duchesse .
Qu' un ambitieux abbé bricolât et retînt le bonheur d' un homme trempé comme l' était Montriveau ? cette pensée bouillonna sur sa face , lui crispa les doigts , le fit lever , marcher , piétiner ; puis quand il revenait à sa place avec l' intention de faire un éclat , un seul regard de la duchesse suffisait à le calmer .
Mme de Langeais , nullement embarrassée du noir silence de son amant , par lequel toute autre femme eût été gênée , continuait à converser fort spirituellement avec M .
Gondrand sur la nécessité de rétablir la religion dans son ancienne splendeur .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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