----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

En effet , toutes les joies de l' amour existaient en germe dans la liberté de ses regards expressifs , dans les câlineries de sa voix , dans la grâce de ses paroles . Elle faisait voir qu' il y avait en elle une noble courtisane , que démentaient vainement les religions de la duchesse . Qui s' asseyait près d' elle pendant une soirée , la trouvait tour à tour gaie , mélancolique , sans qu' elle eût l' air de jouer ni la mélancolie ni la gaieté .
Elle savait être à son gré affable , méprisante , ou impertinente , ou confiante . Elle semblait bonne et l' était . Dans sa situation , rien ne l' obligeait à descendre à la méchanceté .
Par moments , elle se montrait tour à tour sans défiance et rusée , tendre à émouvoir , puis dure et sèche à briser le coeur . Mais pour la bien peindre ne faudrait - il pas accumuler toutes les antithèses féminines ; en un mot , elle était ce qu' elle voulait être ou paraître .
Sa figure un peu trop longue avait de la grâce , quelque chose de fin , de menu qui rappelait les figures du Moyen Age .
Son teint était pâle , légèrement rosé . Tout en elle péchait pour ainsi dire par un excès de délicatesse .
M . de Montriveau se laissa complaisamment présenter à la duchesse de Langeais , qui , suivant l' habitude des personnes auxquelles un goût exquis fait éviter les banalités , l' accueillit sans l' accabler ni de questions ni de compliments , mais avec une sorte de grâce respectueuse qui devait flatter un homme supérieur , car la supériorité suppose chez un homme un peu de ce tact qui fait deviner aux femmes tout ce qui est sentiment .
Si elle manifesta quelque curiosité , ce fut par ses regards ; si elle complimenta ce fut par ses manières ; et elle déploya cette chatterie de paroles , cette fine envie de plaire qu' elle savait montrer mieux que personne .
Mais toute sa conversation ne fut en quelque sorte que le corps de la lettre , il devait y avoir un post - scriptum où la pensée principale allait être dite .
Quand , après une demi - heure de causeries insignifiantes , et dans lesquelles l' accent , les sourires , donnaient seuls de la valeur aux mots , M .
de Montriveau parut vouloir discrètement se retirer , la duchesse le retint par un geste expressif .
" Monsieur , lui dit - elle , je ne sais si le peu d' instants pendant lesquels j' ai eu le plaisir de causer avec vous vous a offert assez d' attrait pour qu' il me soit permis de vous inviter à venir chez moi ; j' ai peur qu' il n' y ait beaucoup d' égoïsme à vouloir vous y posséder .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
Page: 948