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Il portait dans la société une figure grave et recueillie , silencieuse et froide . Il y eut beaucoup de succès , précisément parce qu' il tranchait fortement sur la masse des physionomies convenues qui meublent les salons de Paris , où il fut effectivement tout neuf . Sa parole avait la concision du langage des gens solitaires ou des sauvages . Sa timidité fut prise pour de la hauteur et plut beaucoup . Il était quelque chose d' étrange et de grand , et les femmes furent d' autant plus généralement éprises de ce caractère original , qu' il échappait à leurs adroites flatteries , à ce manège par lequel elles circonviennent les hommes les plus puissants , et corrodent les esprits les plus inflexibles .
M .
de Montriveau ne comprenait rien à ces petites singeries parisiennes , et son âme ne pouvait répondre qu' aux sonores vibrations des beaux sentiments . Il eût promptement été laissé là , sans la poésie qui résultait de ses aventures et de sa vie , sans les prôneurs qui le vantaient à son insu , sans le triomphe d' amour - propre qui attendait la femme dont il s' occuperait .
Aussi la curiosité de la duchesse de Langeais était - elle vive autant que naturelle .
Par un effet du hasard , cet homme l' avait intéressée la veille , car elle avait entendu raconter la veille une des scènes qui , dans le voyage de M .
de Montriveau , produisaient le plus d' impression sur les mobiles imaginations de femme . Dans une excursion vers les sources du Nil , M . de Montriveau eut avec un de ses guides le débat le plus extraordinaire qui se connaisse dans les annales des voyages .
Il avait un désert à traverser , et ne pouvait aller qu' à pied au lieu qu' il voulait explorer . Un seul guide était capable de l' y mener .
Jusqu' alors aucun voyageur n' avait pu pénétrer dans cette partie de la contrée , où l' intrépide officier présumait devoir trouver la solution de plusieurs problèmes scientifiques .
Malgré les représentations que lui firent et les vieillards du pays et son guide , il entreprit ce terrible voyage . S' armant de tout son courage aiguisé déjà par l' annonce d' horribles difficultés à vaincre , il partit au matin .
Après avoir marché pendant une journée entière , il se coucha le soir sur le sable , éprouvant une fatigue inconnue , causée par la mobilité du sol , qui semblait à chaque pas fuir sous lui .
Cependant il savait que le lendemain il lui faudrait , dès l' aurore , se remettre en route ; mais son guide lui avait promis de lui faire atteindre , vers le milieu du jour , le but de son voyage .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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