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Ces toilettes , ces apprêts , ces coquetteries étaient faites pour les plus pauvres êtres qui se soient rencontrés , des fats sans esprit , des hommes dont le mérite consistait dans une jolie figure , et pour lesquels toutes les femmes se compromettaient sans profit , de véritables idoles de bois doré qui , malgré quelques exceptions , n' avaient ni les antécédents des petits - maîtres du temps de la Fronde , ni la bonne grosse valeur des héros de l' Empire , ni l' esprit et les manières de leurs grands - pères , mais qui voulaient être gratis quelque chose d' approchant ; qui étaient braves comme l' est la jeunesse française , habiles sans doute s' ils eussent été mis à l' épreuve , et qui ne pouvaient rien être par le règne des vieillards usés qui les tenaient en lisière . Ce fut une époque froide , mesquine et sans poésie . Peut - être faut - il beaucoup de temps à une restauration pour devenir une monarchie .
Depuis dix - huit mois , la duchesse de Langeais menait cette vie creuse , exclusivement remplie par le bal , par les visites faites pour le bal , par des triomphes sans objet , par des passions éphémères , nées et mortes pendant une soirée .
Quand elle arrivait dans un salon , les regards se concentraient sur elle , elle moissonnait des mots flatteurs , quelques expressions passionnées qu' elle encourageait du geste , du regard , et qui ne pouvaient jamais aller plus loin que l' épiderme .
Son ton , ses manières , tout en elle faisait autorité . Elle vivait dans une sorte de fièvre de vanité , de perpétuelle jouissance qui l' étourdissait .
Elle allait assez loin en conversation , elle écoutait tout , et se dépravait , pour ainsi dire , à la surface du coeur . Revenue chez elle , elle rougissait souvent de ce dont elle avait ri , de telle histoire scandaleuse dont les détails l' aidaient à discuter les théories de l' amour qu' elle ne connaissait pas , et les subtiles distinctions de la passion moderne , que de complaisantes hypocrites lui commentaient ; car les femmes , sachant se tout dire entre elles , en perdent plus que n' en corrompent les hommes .
Il y eut un moment où elle comprit que la créature aimée était la seule dont la beauté , dont l' esprit pût être universellement reconnu .
Que prouve un mari ? Que , jeune fille , une femme était ou richement dotée , ou bien élevée , avait une mère adroite , ou satisfaisait aux ambitions de l' homme ; mais un amant est le constant programme de ses perfections personnelles .
Mme de Langeais apprit , jeune encore , qu' une femme pouvait se laisser aimer ostensiblement sans être complice de l' amour , sans l' approuver , sans le contenter autrement que par les plus maigres redevances de l' amour , et plus d' une sainte nitouche lui révéla les moyens de jouer ces dangereuses comédies .
La duchesse eut donc sa cour , et le nombre de ceux qui l' adoraient ou la courtisaient fut une garantie de sa vertu .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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