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C' était une femme artificiellement instruite , réellement ignorante ; pleine de sentiments élevés , mais manquant d' une pensée qui les coordonnât ; dépensant les plus riches trésors de l' âme à obéir aux convenances ; prête à braver la société , mais hésitant et arrivant à l' artifice par suite de ses scrupules ; ayant plus d' entêtement que de caractère , plus d' engouement que d' enthousiasme , plus de tête que de coeur ; souverainement femme et souverainement coquette , Parisienne surtout ; aimant l' éclat , les fêtes ; ne réfléchissant pas , ou réfléchissant trop tard ; d' une imprudence qui arrivait presque à de la poésie ; insolente à ravir , mais humble au fond du coeur ; affichant la force comme un roseau bien droit , mais , comme ce roseau , prête à fléchir sous une main puissante ; parlant beaucoup de la religion , mais ne l' aimant pas , et cependant prête à l' accepter comme un dénouement .
Comment expliquer une créature véritablement multiple , susceptible d' héroïsme , et oubliant d' être héroïque pour dire une méchanceté ; jeune et suave , moins vieille de coeur que vieillie par les maximes de ceux qui l' entouraient , et comprenant leur philosophie égoïste sans l' avoir appliquée ; ayant tous les vices du courtisan et toutes les noblesses de la femme adolescente ; se défiant de tout , et néanmoins se laissant parfois aller à tout croire ? Ne serait - ce pas toujours un portrait inachevé que celui de cette femme en qui les teintes les plus chatoyantes se heurtaient , mais en produisant une confusion poétique , parce qu' il y avait une lumière divine , un éclat de jeunesse qui donnait à ces traits confus une sorte d' ensemble ? La grâce lui servait d' unité .
Rien n' était joué .
Ces passions , ces demi - passions , cette velléité de grandeur , cette réalité de petitesse , ces sentiments froids et ces élans chaleureux étaient naturels et ressortaient de sa situation autant que de celle de l' aristocratie à laquelle elle appartenait .
Elle se comprenait toute seule et se mettait orgueilleusement au - dessus du monde , à l' abri de son nom .
Il y avait du moi de Médée dans sa vie , comme dans celle de l' aristocratie , qui se mourait sans vouloir ni se mettre sur son séant , ni tendre la main à quelque médecin politique , ni toucher , ni être touchée , tant elle se sentait faible ou déjà poussière .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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