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Malheureusement , en France , la noblesse , encore grosse de son ancienne puissance évanouie avait contre elle une sorte de présomption dont il était difficile qu' elle se défendît . Peut - être est - ce un défaut national .
Le Français , plus que tout autre homme , ne conclut jamais en dessous de lui , il va du degré sur lequel il se trouve au degré supérieur : il plaint rarement les malheureux au - dessus desquels il s' élève , il gémit toujours de voir tant d' heureux au - dessus de lui .
Quoiqu' il ait beaucoup de coeur , il préfère trop souvent écouter son esprit . Cet instinct national qui fait toujours aller les Français en avant , cette vanité qui ronge leurs fortunes et les régit aussi absolument que le principe d' économie régit les Hollandais , a dominé depuis trois siècles la noblesse , qui , sous ce rapport , fut éminemment française .
L' homme du faubourg Saint - Germain a toujours conclu de sa supériorité matérielle en faveur de sa supériorité intellectuelle .
Tout , en France , l' en a convaincu , parce que depuis l' établissement du faubourg Saint - Germain , révolution aristocratique commencée le jour où la monarchie quitta Versailles , le faubourg Saint - Germain s' est , sauf quelques lacunes , toujours appuyé sur le pouvoir , qui sera toujours en France plus ou moins faubourg Saint - Germain : de là sa défaite en 1830 .
A cette époque , il était comme une armée opérant sans avoir de base .
Il n' avait point profité de la paix pour s' implanter dans le coeur de la nation .
Il péchait par un défaut d' instruction et par un manque total de vue sur l' ensemble de ses intérêts . Il tuait un avenir certain , au profit d' un présent douteux .
Voici peut - être la raison de cette fausse politique . La distance physique et morale que ces supériorités s' efforçaient de maintenir entre elles et le reste de la nation a fatalement eu pour tout résultat , depuis quarante ans , d' entretenir dans la haute classe le sentiment personnel en tuant le patriotisme de caste .
Jadis , alors que la noblesse française était grande , riche et puissante , les gentilshommes savaient , dans le danger , se choisir des chefs et leur obéir .
Devenus moindres , ils se sont montrés indisciplinables ; et , comme dans le Bas - Empire , chacun d' eux voulait être empereur ; en se voyant tous égaux par leur faiblesse , ils se crurent tous supérieurs .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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