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Quelque chose de grand comme la tombe le saisit sous ces frais planchers . N' était - ce pas son silence éternel , sa paix profonde , ses idées d' infini ? Puis , la quiétude et la pensée fixe du cloître , cette pensée qui se glisse dans l' air dans le clair - obscur , dans tout , et qui , n' étant tracée nulle part , est encore agrandie par l' imagination , ce grand mot : la paix dans le Seigneur , entre , là , de vive force , dans l' âme la moins religieuse . Les couvents d' hommes se conçoivent peu ; l' homme y semble faible : il est né pour agir , pour accomplir une vie de travail à laquelle il se soustrait dans sa cellule .
Mais dans un monastère de femmes , combien de vigueur virile et de touchante faiblesse ! Un homme peut être poussé par mille sentiments au fond d' une abbaye , il s' y jette comme dans un précipice ; mais la femme n' y vient jamais qu' entraînée par un seul sentiment : elle ne s' y dénature pas , elle épouse Dieu .
Vous pouvez dire aux religieux : Pourquoi n' avez - vous pas lutté ? Mais la réclusion d' une femme n' est - elle pas toujours une lutte sublime ? Enfin , le général trouva ce parloir muet et ce couvent perdu dans la mer tout pleins de lui .
L' amour arrive rarement à la solennité ; mais l' amour encore fidèle au sein de Dieu , n' était - ce pas quelque chose de solennel , et plus qu' un homme n' avait le droit d' espérer au dix - neuvième siècle , par les moeurs qui courent ? Les grandeurs infinies de cette situation pouvaient agir sur l' âme du général , il était précisément assez élevé pour oublier la politique , les honneurs , l' Espagne , le monde de Paris , et monter jusqu' à la hauteur de ce dénouement grandiose .
D' ailleurs , quoi de plus véritablement tragique ? Combien de sentiments dans la situation des deux amants seuls réunis au milieu de la mer sur un banc de granit , mais séparés par une idée , par une barrière infranchissable ! Voyez l' homme se disant : " Triompherai - je de Dieu dans ce coeur ? " Un léger bruit fit tressaillir cet homme , le rideau brun se tira ; puis il vit dans la lumière une femme debout , mais dont la figure lui était cachée par le prolongement du voile plié sur la tête : suivant la règle de la maison , elle était vêtue de cette robe dont la couleur est devenue proverbiale .
Le général ne put apercevoir les pieds nus de la religieuse , qui lui en auraient attesté l' effrayante maigreur ; cependant , malgré les plis nombreux de la robe grossière qui couvrait et ne parait plus cette femme , il devina que les larmes , la prière , la passion , la vie solitaire l' avaient déjà desséchée .
DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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