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Le général avait été rapidement emporté par la course de ce vigoureux génie , et l' avait suivi dans les régions qu' il venait de parcourir . Il comprenait , dans toute leur étendue , les images dont abonda cette brûlante symphonie , et pour lui ces accords allaient bien loin . Pour lui , comme pour la soeur , ce poème était l' avenir , le présent et le passé . La musique , même celle du théâtre , n' est - elle pas , pour les âmes tendres et poétiques , pour les coeurs souffrants et blessés , un texte qu' ils développent au gré de leurs souvenirs ? S' il faut un coeur de poète pour faire un musicien , ne faut - il pas de la poésie et de l' amour pour écouter , pour comprendre les grandes oeuvres musicales ? La Religion , l' Amour et la Musique ne sont - ils pas la triple expression d' un même fait , le besoin d' expansion dont est travaillée toute âme noble ? Ces trois poésies vont toutes à Dieu , qui dénoue toutes les émotions terrestres .
Aussi cette sainte Trinité humaine participe - t - elle des grandeurs infinies de Dieu , que nous ne configurons jamais sans l' entourer des feux de l' amour , des sistres d' or de la musique , de lumière et d' harmonie .
N' est - il pas le principe et la fin de nos oeuvres ?
Le Français devina que , dans ce désert , sur ce rocher entouré par la mer , la religieuse s' était emparée de la musique pour y jeter le surplus de passion qui la dévorait . Était - ce un hommage fait à Dieu de son amour , était - ce le triomphe de l' amour sur Dieu ? questions difficiles à décider .
Mais , certes , le général ne put douter qu' il ne retrouvât en ce coeur mort au monde une passion tout aussi brûlante que l' était la sienne .
Les vêpres finies , il revint chez l' alcade , où il était logé . Restant d' abord en proie aux mille jouissances que prodigue une satisfaction longtemps attendue , péniblement cherchée , il ne vit rien au - delà .
Il était toujours aimé . La solitude avait grandi l' amour dans ce coeur , autant que l' amour avait été grandi dans le sien par les barrières successivement franchies et mises par cette femme entre elle et lui .
Cet épanouissement de l' âme eut sa durée naturelle . Puis vint le désir de revoir cette femme , de la disputer à Dieu , de la lui ravir , projet téméraire qui plut à cet homme audacieux .
Après le repas , il se coucha pour éviter les questions , pour être seul , pour pouvoir penser sans trouble , et resta plongé dans les méditations les plus profondes , jusqu' au lendemain matin .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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