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Le lendemain même , pendant le départ de ses soldats , le général se rendit au couvent pour assister aux vêpres . Il trouva l' église désertée par les habitants qui , malgré leur dévotion , étaient allés voir sur le port l' embarcation des troupes . Le Français , heureux de se trouver seul dans l' église , eut soin d' en faire retentir les voûtes sonores du bruit de ses éperons ; il y marcha bruyamment , il toussa , il se parla tout haut à lui - même pour apprendre aux religieuses , et surtout à la musicienne , que , si les Français partaient , il en restait un .
Ce singulier avis fut - il entendu , compris ? ... le général le crut . Au Magnificat , les orgues semblèrent lui faire une réponse qui lui fut apportée par les vibrations de l' air .
L' âme de la religieuse vola vers lui sur les ailes de ses notes , et s' émut dans le mouvement des sons . La musique éclata dans toute sa puissance ; elle échauffa l' église .
Ce chant de joie , consacré par la sublime liturgie de la Chrétienté romaine pour exprimer l' exaltation de l' âme en présence des splendeurs du Dieu toujours vivant , devint l' expression d' un coeur presque effrayé de son bonheur , en présence des splendeurs d' un périssable amour qui durait encore et venait l' agiter au - delà de la tombe religieuse où s' ensevelissent les femmes pour renaître épouses du Christ .
L' orgue est certes le plus grand , le plus audacieux , le plus magnifique de tous les instruments créés par le génie humain . Il est un orchestre entier , auquel une main habile peut tout demander , il peut tout exprimer .
N' est - ce pas , en quelque sorte , un piédestal sur lequel l' âme se pose pour s' élancer dans les espaces lorsque , dans son vol , elle essaie de tracer mille tableaux , de peindre la vie , de parcourir l' infini qui sépare le ciel de la terre ? Plus un poète en écoute les gigantesques harmonies , mieux il conçoit qu' entre les hommes agenouillés et le Dieu caché par les éblouissants rayons du sanctuaire les cent voix de ce choeur terrestre peuvent seules combler les distances , et sont le seul truchement assez fort pour transmettre au ciel les prières humaines dans l' omnipotence de leurs modes , dans la diversité de leurs mélancolies , avec les teintes de leurs méditatives extases , avec les jets impétueux de leurs repentirs et les mille fantaisies de toutes les croyances .
Oui , sous ces longues voûtes , les mélodies enfantées par le génie des choses saintes trouvent des grandeurs inouïes dont elles se parent et se fortifient .
Là , le jour affaibli , le silence profond , les chants qui alternent avec le tonnerre des orgues , font à Dieu comme un voile à travers lequel rayonnent ses lumineux attributs .

DUCHESSE DE LANGEAIS (V, paris)
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