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Si tu m' avais appelé près de toi lors de ton mariage , je t' aurais aidé à connaître , analyser les deux femmes avec lesquelles tu t' engageais ; et , de ces observations faites en commun , il serait sorti quelques conseils utiles . N' étais - je pas le seul de tes amis en position de respecter ta femme ? Étais - je à craindre ? Après m' avoir jugé , ces deux femmes ont eu peur de moi et nous ont séparés .
Si tu ne m' avais pas bêtement fait la moue , elles ne t' auraient pas dévoré . Ta femme a bien aidé à notre refroidissement ; elle était serinée par sa mère , à qui elle écrivait deux lettres dans la semaine , et tu n' y as jamais pris garde .
J' ai bien reconnu mon Paul quand j' ai su ce détail . Dans un mois , je serai assez près de ta belle - mère pour apprendre d' elle la raison de la haine hispano - italienne qu' elle t' a vouée , à toi , le meilleur homme du monde .
Te haïssait - elle avant que sa fille n' aimât Félix de Vandenesse , ou te chasse - t - elle jusque dans les Indes pour rendre sa fille aussi libre que l' est en France une femme séparée de corps et de biens ? Là est le problème .
Je te vois bondissant et hurlant en apprenant que ta femme aime à la folie Félix de Vandenesse .
Si je n' avais pas eu la fantaisie de faire un tour en Orient avec Montriveau , Ronquerolles et quelques autres bons vivants de ta connaissance , j' aurais pu te dire quelque chose de cette intrigue qui commençait quand je suis parti ; je voyais poindre alors les germes de ton malheur .
Mais quel gentilhomme assez dépravé pourrait entamer de semblables questions sans une première ouverture ? Qui oserait nuire à une femme ? Qui briserait le miroir aux illusions où l' un de nos amis se complaît à regarder les féeries d' un heureux mariage ? Les illusions ne sont - elles pas la fortune du coeur ? Ta femme , cher ami , n' était - elle pas , dans la plus large acception du mot , une femme à la mode ? Elle ne pensait qu' à ses succès , à sa toilette ; elle allait aux Bouffons , à l' Opéra , au bal ; se levait tard , se promenait au bois ; dînait en ville ou donnait elle - même à dîner .
Cette vie me semble être pour les femmes ce qu' est la guerre pour les hommes , le public ne voit que les vainqueurs , il oublie les morts .
Si les femmes délicates périssent à ce métier , celles qui résistent doivent avoir des organisations de fer , conséquemment peu de coeur , et des estomacs excellents .
Là est la raison de l' insensibilité , du froid des salons .

CONTRAT DE MARIAGE (III, privé)
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