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" Cher bien - aimé , dans quelle affliction me plonge ta lettre ! Avais - tu le droit de prendre sans me consulter une résolution qui nous frappe également ? Es - tu libre ? ne m' appartiens - tu pas ? ne suis - je pas à moitié créole ? ne pouvais - je donc te suivre ? Tu m' apprends que je ne te suis pas indispensable . Que t' ai - je fait , Paul , pour me priver de mes droits ? Que veux - tu que je devienne seule dans Paris ? Pauvre ange , tu prends sur toi tous mes torts .
Ne suis - je pas pour quelque chose dans cette ruine ? mes chiffons n' ont - ils pas bien pesé dans la balance ? tu m' as fait maudire la vie heureuse , insouciante , que nous avons menée pendant quatre ans .
Te savoir banni pour six ans , n' y a - t - il pas de quoi mourir ? Fait - on fortune en six ans ? Reviendras - tu ? J' étais bien inspirée , quand je me refusais avec une obstination instinctive à cette séparation de biens que ma mère et toi vous avez voulue à toute force .
Que vous disais - je alors ? N' était - ce pas jeter sur toi de la déconsidération ? N' était - ce pas ruiner ton crédit ? Il a fallu que tu te sois fâché pour que j' aie cédé .
Mon cher Paul , jamais tu n' as été si grand à mes yeux que tu l' es en ce moment . Ne désespérer de rien , aller chercher une fortune ? ... il faut ton caractère et ta force pour se conduire ainsi .
Je suis à tes pieds . Un homme qui avoue sa faiblesse avec ta bonne foi , qui refait sa fortune par la même cause qui la lui a fait dissiper , par amour , par une irrésistible passion , oh ! Paul , cet homme est sublime .
Va sans crainte , marche à travers les obstacles , sans douter de ta Natalie , car ce serait douter de toi - même . Pauvre cher , tu veux vivre en moi ? Et moi , ne serai - je pas toujours en toi ? Je ne serai pas ici , mais partout où tu seras , toi .
Si ta lettre m' a causé de vives douleurs , elle m' a comblée de joie ; tu m' as fait en un moment connaître les deux extrêmes , car , en voyant combien tu m' aimes , j' ai été fière d' apprendre que mon amour était bien senti .
Parfois , je croyais t' aimer plus que tu ne m' aimais , maintenant je me reconnais vaincue , tu peux joindre cette supériorité délicieuse à toutes celles que tu as ; mais n' ai - je pas plus de raisons de t' aimer , moi ! Ta lettre , cette précieuse lettre où ton âme se révèle et qui m' a si bien dit que rien n' était perdu entre nous , restera sur mon coeur pendant ton absence , car toute ton âme gît là , cette lettre est ma gloire ! J' irai demeurer à Lanstrac avec ma mère , j' y serai comme morte au monde , j' économiserai nos revenus pour payer tes dettes intégralement .
De ce matin , Paul , je suis une autre femme , je dis adieu sans retour au monde , je ne veux pas d' un plaisir que tu ne partagerais pas .

CONTRAT DE MARIAGE (III, privé)
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