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- Je suis ton ami , mon gros Paul , tu le sais , dit de Marsay après un moment de silence , eh bien , sois bon père et bon époux , tu deviendras ridicule pour le reste de tes jours . Si tu pouvais être heureux et ridicule , la chose devrait être prise en considération ; mais tu ne seras pas heureux . Tu n' as pas le poignet assez fort pour gouverner un ménage . Je te rends justice : tu es un parfait cavalier ; personne mieux que toi ne sait rendre et ramasser les guides , faire piaffer un cheval , et rester vissé sur ta selle .
Mais , mon cher , le mariage est une autre allure .
Je te vois d' ici , mené grand train par Mme la comtesse de Manerville , allant contre ton gré plus souvent au galop qu' au trot et bientôt désarçonné ! ... oh ! mais désarçonné de manière à demeurer dans le fossé , les jambes cassées .
Écoute ? Il te reste quarante et quelques mille livres de rente en propriétés dans le département de la Gironde , bien . Emmène tes chevaux et tes gens , meuble ton hôtel à Bordeaux , tu seras le roi de Bordeaux , tu y promulgueras les arrêts que nous porterons à Paris , tu seras le correspondant de nos stupidités , très bien .
Fais des folies en province , fais - y même des sottises , encore mieux ! peut - être gagneras - tu de la célébrité .
Mais ... ne te marie pas . Qui se marie aujourd' hui ? des commerçants dans l' intérêt de leur capital ou pour être deux à tirer la charrue , des paysans qui veulent en produisant beaucoup d' enfants se faire des ouvriers , des agents de change ou des notaires obligés de payer leurs charges , de malheureux rois qui continuent de malheureuses dynasties .
Nous seuls sommes exempts du bât , et tu vas t' en harnacher ? Enfin pourquoi te maries - tu ? tu dois compte de tes raisons à ton meilleur ami ! D' abord , quand tu épouserais une héritière aussi riche que toi , quatre - vingt mille livres de rente pour deux ne sont pas la même chose que quarante mille livres de rente pour un , parce qu' on se trouve bientôt trois , et quatre s' il nous arrive un enfant .
Aurais - tu par hasard de l' amour pour cette sotte race des Manerville qui ne te donnera que des chagrins ? tu ignores donc le métier de père et mère ? Le mariage , mon gros Paul , est la plus sotte des immolations sociales , nos enfants seuls en profitent et n' en connaissent le prix qu' au moment où leurs chevaux paissent les fleurs nées sur nos tombes .
Regrettes - tu ton père , ce tyran qui t' a désolé ta jeunesse ? Comment t' y prendras - tu pour te faire aimer de tes enfants ? Tes prévoyances pour leur éducation , tes soins de leur bonheur , tes sévérités nécessaires les désaffectionneront .

CONTRAT DE MARIAGE (III, privé)
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