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" On lui a lavé la tête avec du plomb , mon commandant , lui dit Beau - pied qui venait à la rencontre de Hulot ; mais il a tué Gudin et blessé deux hommes . Ah ! l' enragé ! il avait enfoncé trois rangées de nos lapins , et aurait gagné les champs sans le factionnaire de la porte Saint - Léonard qui l' a embroché avec sa baïonnette . "
En entendant ces paroles , le commandant se précipita dans le corps de garde , et vit sur le lit de camp un corps ensanglanté que l' on venait d' y placer ; il s' approcha du prétendu marquis , leva le chapeau qui en couvrait la figure , et tomba sur une chaise .
" Je m' en doutais , s' écria - t - il en se croisant les bras avec force ; elle l' avait , sacré tonnerre , gardé trop longtemps . "
Tous les soldats restèrent immobiles . Le commandant avait fait dérouler les longs cheveux noirs d' une femme . Tout à coup le silence fut interrompu par le bruit d' une multitude armée . Corentin entra dans le corps de garde en précédant quatre soldats qui , sur leurs fusils placés en forme de civière , portaient Montauran , auquel plusieurs coups de feu avaient cassé les deux cuisses et les bras .
Le marquis fut déposé sur le lit de camp auprès de sa femme , il l' aperçut et trouva la force de lui prendre la main par un geste convulsif .
La mourante tourna péniblement la tête , reconnut son mari , frissonna par une secousse horrible à voir , et murmura ces paroles d' une voix presque éteinte : " Un jour sans lendemain ! ... Dieu m' a trop bien exaucée .
"
" Commandant , dit le marquis en rassemblant toutes ses forces et sans quitter la main de Marie , je compte sur votre probité pour annoncer ma mort à mon jeune frère qui se trouve à Londres , écrivez - lui que s' il veut obéir à mes dernières paroles , il ne portera pas les armes contre la France , sans néanmoins jamais abandonner le service du Roi .
- Ce sera fait , dit Hulot en serrant la main du mourant .
- Portez - les à l' hôpital voisin " , s' écria Corentin .
Hulot prit l' espion par le bras , de manière à lui laisser l' empreinte de ses ongles dans la chair , et lui dit : " Puisque ta besogne est finie par ici , fiche - moi le camp , et regarde bien la figure du commandant Hulot , pour ne jamais te trouver sur son passage , si tu ne veux pas qu' il fasse de ton ventre le fourreau de son bancal .
"
Et déjà le vieux soldat tirait son sabre .
LES CHOUANS (VIII, milit)
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