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Ce mariage qui allait être béni à deux pas du lit nuptial , cet autel élevé à la hâte , cette croix , ces vases , ce calice apportés secrètement par un prêtre , cette fumée d' encens répandue sous des corniches qui n' avaient encore vu que la fumée des repas ; ce prêtre qui ne portait qu' une étole par - dessus sa soutane ; ces cierges dans un salon , tout formait une scène touchante et bizarre qui achève de peindre ces temps de triste mémoire où la discorde civile avait renversé les institutions les plus saintes .
Les cérémonies religieuses avaient alors toute la grâce des mystères . Les enfants étaient ondoyés dans les chambres où gémissaient encore les mères . Comme autrefois , le Seigneur allait , simple et pauvre , consoler les mourants .
Enfin les jeunes filles recevaient pour la première fois le pain sacré dans le lieu même où elles jouaient la veille . L' union du marquis et de Mlle de Verneuil allait être consacrée , comme tant d' autres unions , par un acte contraire à la législation nouvelle ; mais plus tard , ces mariages , bénis pour la plupart au pied des chênes , furent tous scrupuleusement reconnus .
Le prêtre qui conservait ainsi les anciens usages jusqu' au dernier moment , était un de ces hommes fidèles à leurs principes au fort des orages .
Sa voix , pure du serment exigé par la République , ne répandait à travers la tempête que des paroles de paix .
Il n' attisait pas , comme l' avait fait l' abbé Gudin , le feu de l' incendie ; mais il s' était , avec beaucoup d' autres , voué à la dangereuse mission d' accomplir les devoirs du sacerdoce pour les âmes restées catholiques .
Afin de réussir dans ce périlleux ministère , il usait de tous les pieux artifices nécessités par la persécution , et le marquis n' avait pu le trouver que dans une de ces excavations qui , de nos jours encore , portent le nom de la cachette du prêtre .
La vue de cette figure pâle et souffrante inspirait si bien la prière et le respect , qu' elle suffisait pour donner à cette salle mondaine l' aspect d' un saint lieu .
L' acte de malheur et de joie était tout prêt . Avant de commencer la cérémonie , le prêtre demanda , au milieu d' un profond silence , les noms de la fiancée .
" Marie - Nathalie , fille de Mlle Blanche de Casteran , décédée abbesse de Notre - Dame de Séez , et de Victor - Amédée , duc de Verneuil .
- Née ?
- à La Chasterie , près d' Alençon .
- Je ne croyais pas , dit tout bas le baron au comte , que Montauran ferait la sottise de l' épouser ! La fille naturelle d' un duc , fi donc !

LES CHOUANS (VIII, milit)
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