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Auprès de sa fenêtre , quelques arbres se détachaient de ce fond bleuâtre comme ces madrépores que la mer laisse entrevoir quand elle est calme . Le soleil donnait au ciel la couleur blafarde de l' argent terni , ses rayons coloraient d' une rougeur douteuse les branches nues des arbres , où se balançaient encore quelques dernières feuilles . Mais des sentiments trop délicieux agitaient l' âme de Marie , pour qu' elle vît de mauvais présages dans ce spectacle , en désaccord avec le bonheur dont elle se repaissait par avance .
Depuis deux jours , ses idées s' étaient étrangement modifiées . L' âpreté , les éclats désordonnés de ses passions avaient lentement subi l' influence de l' égale température que donne à la vie un véritable amour .
La certitude d' être aimée , qu' elle était allée chercher à travers tant de périls , avait fait naître en elle le désir de rentrer dans les conditions sociales qui sanctionnent le bonheur , et d' où elle n' était sortie que par désespoir .
N' aimer que pendant un moment lui sembla de l' impuissance .
Puis elle se vit soudain reportée , du fond de la société où le malheur l' avait plongée , dans le haut rang où son père l' avait un moment placée . Sa vanité , comprimée par les cruelles alternatives d' une passion tour à tour heureuse ou méconnue , s' éveilla , lui fit voir tous les bénéfices d' une grande position .
En quelque sorte née marquise , épouser Montauran , n' était - ce pas pour elle agir et vivre dans la sphère qui lui était propre .
Après avoir connu les hasards d' une vie tout aventureuse , elle pouvait mieux qu' une autre femme apprécier la grandeur des sentiments qui font la famille .
Puis le mariage , la maternité et ses soins , étaient pour elle moins une tâche qu' un repos . Elle aimait cette vie vertueuse et calme entrevue à travers ce dernier orage , comme une femme lasse de la vertu peut jeter un regard de convoitise sur une passion illicite .
La vertu était pour elle une nouvelle séduction .
" Peut - être , dit - elle en revenant de la croisée sans avoir vu de feu sur la roche de Saint - Sulpice , ai - je été bien coquette avec lui ? Mais aussi n' ai - je pas su combien je suis aimée ? ... Francine , ce n' est plus un songe ! je serai ce soir la marquise de Montauran .
Qu' ai - je donc fait pour mériter un si complet bonheur ? Oh ! je l' aime , et l' amour seul peut payer l' amour . Néanmoins , Dieu veut sans doute me récompenser d' avoir conservé tant de coeur malgré tant de misères et me faire oublier mes souffrances ; car , tu le sais , mon enfant , j' ai bien souffert .
- Ce soir , marquise de Montauran , vous , Marie !
LES CHOUANS (VIII, milit)
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