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La maison que Corentin avait proposée à Mlle de Verneuil lui offrit assez de ressources pour satisfaire le goût de luxe et d' élégance inné dans cette fille ; il rassembla tout ce qu' il savait devoir lui plaire avec l' empressement d' un amant pour sa maîtresse , ou mieux encore avec la servilité d' un homme puissant qui cherche à courtiser quelque subalterne dont il a besoin . Le lendemain il vint proposer à Mlle de Verneuil de se rendre à cet hôtel improvisé .
Bien qu' elle ne fît que passer de sa mauvaise ottomane sur un antique sopha que Corentin avait su lui trouver , la fantasque Parisienne prit possession de cette maison comme d' une chose qui lui aurait appartenu .
Ce fut une insouciance royale pour tout ce qu' elle y vit , une sympathie soudaine pour les moindres meubles qu' elle s' appropria tout à coup comme s' ils lui eussent été connus depuis longtemps ; détails vulgaires , mais qui ne sont pas indifférents à la peinture de ces caractères exceptionnels .
Il semblait qu' un rêve l' eût familiarisée par avance avec cette demeure où elle vécut de sa haine comme elle y aurait vécu de son amour .
" Je n' ai pas du moins , se disait - elle , excité en lui cette insultante pitié qui tue , je ne lui dois pas la vie . O mon premier , mon seul et mon dernier amour , quel dénouement ! " Elle s' élança d' un bond sur Francine effrayée : " Aimes - tu ? Oh ! oui , tu aimes , je m' en souviens .
Ah ! je suis bien heureuse d' avoir auprès de moi une femme qui me comprenne . Eh bien , ma pauvre Francette , l' homme ne te semble - t - il pas une effroyable créature ? Hein , il disait m' aimer , et il n' a pas résisté à la plus légère des épreuves .
Mais si le monde entier l' avait repoussé , pour lui mon âme eût été un asile ; si l' univers l' avait accusé , je l' aurais défendu .
Autrefois , je voyais le monde rempli d' êtres qui allaient et venaient , ils ne m' étaient qu' indifférents ; le monde était triste et non pas horrible ; mais maintenant , qu' est le monde sans lui ? Il va donc vivre sans que je sois près de lui , sans que je le voie , que je lui parle , que je le sente , que je le tienne , que je le serre ... Ah ! je l' égorgerai plutôt moi - même dans son sommeil .
"
Francine épouvantée la contempla un moment en silence .
" Tuer celui qu' on aime ? ... dit - elle d' une voix douce .
- Ah ! certes , quand il n' aime plus . "
Mais après ces épouvantables paroles elle se cacha le visage dans ses mains , se rassit et garda le silence .
Le lendemain , un homme se présenta brusquement devant elle sans être annoncé . Il avait un visage sévère . C' était Hulot . Elle leva les yeux et frémit .
LES CHOUANS (VIII, milit)
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